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instaurée par Wagner, il cherche avant tout à indiquer de la façon la plus positive et la plus caractéristique les traits fondamentaux de ce drame, les différences essentielles qui le distinguent des autres formes de drame antérieures à Wagner. Pour rendre son enseignement plus vivant, M. Chamberlain l’appuie ensuite longuement sur l’étude directe des drames de Wagner, considérés uniquement de ce point de vue central : l’essence même de la nouvelle forme de drame. Nous voyons dans le livre de M. Chamberlain comment cette forme, par la poussée même de l’instinct génial de Wagner qui y aspirait inconsciemment, s’est peu à peu dégagée des œuvres de la première partie de sa vie, depuis les Fées jusqu’aux projets de drame sur Wieland et sur Jésus de Nazareth, ce qui l’a enfin conduit au point où il prit pleinement conscience de ce qu’il voulait faire, de ce qu’il réalisa en effet dans la seconde période de sa vie artistique. Et cette réalisation, M. Chamberlain, toujours par l’examen même des traits essentiels de chacune des œuvres, nous l’éclairé ensuite d’un jour qui ne laisse plus rien d’obscur ni d’indéterminé dans la théorie même du drame. Je ne puis, à mon grand regret, m’étendre davantage ici sur ce beau livre, mais je prierai le lecteur qui voudrait le connaître un peu de se reporter à l’analyse très étendue qu’en a donnée M. J. du Tillel, l’an dernier, dans le Journal des Débats. D’ailleurs je crois savoir que M. Chamberlain en achève lui-même en ce moment une version française, et il sera ainsi facile à tous de le connaître.

On sait que la théorie du « drame wagnérien », par ce qu’elle a de tout à fait général, ne doit pas seulement intéresser les musiciens, mais tout autant, et peut-être plus encore, me semble-t-il, quiconque se préoccupe d’esthétique dramatique générale. M. Chamberlain ne l’a pas perdu de vue un seul instant ; et ce qui différencie justement son œuvre de la plupart des autres travaux wagnériens dus à l’Allemagne, c’est qu’elle forme vraiment un tout, alors que ces autres travaux dont j’ai parlé n’apparaissent le plus souvent que comme des études fragmentaires. La littérature wagnérienne est très riche en productions de tous genres, nous l’avons vu ; mais jusqu’ici c’étaient surtout de précieux matériaux pour des œuvres encore à faire qu’elle avait amassés, plutôt qu’elle n’avait produit véritablement des œuvres, de vraies vues d’ensemble, comme déjà, je l’ai dit, notre littérature wagnérienne française en offre quelques bons exemples, et comme M. Chamberlain vient de nous en donner un tout à fait remarquable par ce livre sur le Drame wagnérien. « L’homme des bois » s’y révèle bien un peu en maintes pages, par la passion,