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Allemands jusqu’à la ligne de faîte du bassin du Nil, l’Angleterre donnait en réalité ce qui ne lui appartenait pas. L’accord anglo-allemand tenait donc pour nuls et non avenus les traités de Crampel, de Dybowski et de Maistre ; même il affectait d’ignorer notre occupation pacifique de la Sangha. Il faisait de notre colonie du Congo français un territoire fermé. Bloqué au nord par les Allemands, à l’est par les Belges, le Congo français n’avait plus d’extension possible ; l’Algérie et le Sénégal étaient à jamais séparés de lui. De plus, la manière dont les négociations avaient été conduites constituait un manquement absolu d’égards en vers la France. On avait agi comme si nous ne comptions plus, comme si on ne nous connaissait pas, comme si on n’avait pas voulu nous connaître. Nous avions été traités avec la même désinvolture qu’en 1890 lors du partage des États du sultan de Zanzibar. Blessés gravement dans nos intérêts et notre amour-propre, nous ne pouvions, malgré notre très grand désir d’éviter les conflits, accepter la situation nouvelle qui nous était faite. Aussi, dès que l’accord anglo-allemand eut été rendu public le 15 novembre 1893, fîmes-nous entendre nos protestations. Notre cause était si juste, nos plaintes si fondées, que l’Allemagne ne pouvait ne pas les admettre. Le cabinet de Berlin déclara être animé des dispositions les plus conciliantes et se montra désireux de négocier amicalement avec nous les bases d’un accord. Sur ces indications rassurantes, M. Haussmann, chef de la division politique de l’administration des colonies, assisté, comme délégué technique, du commandant Monteil, furent désignés comme commissaires et envoyés Berlin traiter avec le gouvernement allemand, qui nomma, pour le représenter, M. Kayser, directeur de la division coloniale, et le baron von Dankelmann, directeur de la Revue de géographie coloniale (Die Mittheilungen).

La mission des commissaires allemands et français était des plus délicates. En France et en Allemagne, on partait des points de vue les plus différens. On n’était pas même d’accord sur la valeur des termes employés dans le traité de 1885 qui avait fixé la frontière du Cameroun et du Congo français. Dans ce traité il était dit textuellement que « le gouvernement de S. M. l’empereur d’Allemagne s’engage à s’abstenir de toute action politique au sud d’une ligne suivant ladite rivière (Rio Campo), depuis son embouchure jusqu’au point où elle rencontre le méridien situé par 10° de longitude est de Greenwich, et, à partir de ce point, le parallèle prolongé jusqu’à sa rencontre avec le méridien situé par 15° de longitude est de Greenwich » ; et aussi que « le gouvernement de la République française renonce à tous droits et à toutes prétentions qu’il pourrait faire valoir sur les territoires situés au