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Catenaccio. Voyons donc ce qui se passe chez elle. Hélas ! les faits les plus lamentables. La désorganisation du commerce, l’audace de la spéculation, la démoralisation administrative, la déconsidération des hommes au pouvoir, la suspicion à l’égard de ministres qui n’ont peut-être fait que leur devoir, tel est le bilan du Catenaccio ; et, pour prouver que nous n’exagérons pas, nous nous inspirerons de l’opinion des Italiens eux-mêmes et nous citerons quelques passages d’un article qui vient de paraître sous la signature de R. Dalla Volta[1], professeur de science financière à l’Institut des sciences sociales de Florence.

« Le système du Catenaccio, dit M. Dalla Volta, tel qu’il est appliqué par la pratique anglaise, ne peut être une source d’inconvéniens ni d’abus sérieux. Mais, en Italie, on a perverti le système, et cela a été rendu possible par une dégradation véritable du système parlementaire, parce qu’il n’y a aucune loi, aucune disposition relative à cette exception au principe général que les impôts, — qu’il s’agisse d’augmenter des impôts existans ou d’en créer de nouveaux, — doivent être consentis par le pouvoir législatif. Et il vaut d’ailleurs certainement mieux que l’exception ne soit pas consacrée par la loi. Il serait, en effet, très dangereux de reconnaître expressément au pouvoir exécutif la faculté d’établir, à sa volonté, des impôts. Au contraire, le Catenaccio pouvant être refusé, comme cela s’est vu le 30 janvier 1891 où M. Crispi dut démissionner à la suite d’un pareil refus, on peut ainsi corriger le système dans ce qu’il a d’incorrect et de condamnable…

« On ne peut que blâmer l’usage fréquent et incorrect qu’on a fait en Italie du Catenaccio. Le Catenaccio a trop souvent servi à faire établir des augmentations arbitraires d’impôts sur les objets de consommation, et à rendre plus forte la protection douanière pour qu’on puisse l’envisager favorablement, même si elle était acceptable en droit constitutionnel. Mais c’est principalement quand on se place sur le terrain de la légalité qu’on doit le condamner. Si on l’admet, ce ne peut être qu’à titre d’expédient extraordinaire, d’ordre fiscal et administratif, suivant le système. Je ne puis donc que souhaiter à la France d’être préservée du Catenaccio qui, pratiquement, signifie : augmentation des impôts, abus du pouvoir exécutif, violation du système constitutionnel. »

Nous n’ajouterons rien aux appréciations de M. R. Dalla Volta, bien qu’en sa qualité d’Italien, il ait été tenu à une réserve que nous ne pouvons qu’approuver. Il nous serait du reste

  1. Dalla Volta, Des modifications provisoires des impôts sans le consentement préalable du pouvoir législatif en Italie. — Le Catenaccio. — (Revue du Droit public et de la Science politique en France et à l’étranger, n° 1, janvier-février 1894, Chevalier-Maresq et C°, éditeurs, Paris.)