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sa vue rassura les infortunés. Il leur apprit que les portes de la ville venaient d’être fermées, que tout espoir de fuite était impossible. Mais il leur offrit de les conduire, sous sa sauvegarde, dans son palais, où ils pouvaient être assurés d’être bien traités. Après quoi il les fit ranger sur deux files ; et la foule, un moment intimidée par son sang-froid, s’écarta respectueusement devant lui. Les Français trouvèrent en effet au palais Zelli l’accueil le plus cordial. Mais à peine avaient-ils commencé à reprendre confiance, que les mêmes cris qui les avaient terrifiés à l’auberge delle Stufate retentirent, plus furieux encore, devant la porte du palais. On avait appris qu’un bataillon français attaquait la ville : on s’apprêtait, en cas de défaite, à massacrer tous les Français qu’on tenait sous la main. Heureusement le bataillon français fut contraint de se retirer : c’était, encore une fois, le salut des prisonniers.

Plusieurs journées se passèrent, durant lesquelles le tocsin ne cessa pas de sonner aux clochers de Viterbe, ni la foule de hurler sous les fenêtres du palais Zelli. Mais les Français avaient fini par s’habituer à tout cela. Les femmes, sous la conduite du Père Martinelli, avaient pu sortir du couvent et rejoindre leurs maris. On faisait de la musique, on dansait. L’un des prisonniers composa une pantomime, les Brigands, où il parodiait les attitudes et les manières des assiégeans. La pantomime fut jouée dans le salon du palais, avec un énorme succès, tandis que les cris de mort retentissaient dans la rue.

Et les choses allèrent ainsi, avec des alternatives incessantes d’alarmes et d’accalmies, jusqu’au matin du ! 19 décembre. Ce jour-là, de nouveau, la situation s’aggrava. Le général français Kellermann avait déclaré aux insurgés qu’il leur ferait une guerre sans merci : du moins ils voulaient se venger sur leurs otages du palais Zelli. Et certainement ils auraient, cette fois, réalisé leurs menaces, si l’évêque de Viterbe, le vénérable cardinal Bartoli, n’avait eu le courage de leur tenir tête, et de recueillir à l’évêché les malheureux voyageurs.

À l’évêché, la même vie recommença, avec les mêmes successions d’espérance et de découragement. Jour et nuit la foule furieuse se pressait aux portes ; jour et nuit, pendant tout le mois, le tocsin sonnait à tous les clochers de la ville. Il n’y eut de répit véritable qu’un certain dimanche où fut célébrée la fête de sainte Rose. Pour se concilier la faveur de cette sainte, les habitans portèrent par toutes les rues de la ville sa statue, qu’ils avaient accoutrée de toutes sortes de robes et d’objets de toilette enlevés aux dames françaises. Sainte Rose se promenait ainsi dans Viterbe vêtue à la mode de Paris. Mais le lendemain et le surlendemain, la situation des prisonniers devint si critique que tout espoir de salut les abandonna. Les insurgés, apprenant l’approche des troupes françaises, avaient décidé que tous les Français seraient extraits par force de l’évêché et des auberges où ils se