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apparences contraires, les ministres le laissent se perdre dans des jeux d’enfans, oiseaux, chiens et autres frivolités ; on lui laisse tout le loisir d’aller à la chasse, qu’il adore… Aussi on remarque qu’il ne favorise que les gens de basse extraction… Tous ceux qui l’entourent dépendent intérieurement de la reine mère, qui les choisit, autant que possible, de capacité médiocre et de peu d’esprit, crainte qu’ils ne suggèrent au roi des pensées viriles. Aussi, il reste dans l’obéissance et le respect ; l’autorité de la reine est entière et va plutôt croissant. Son fils ne parle, n’agit, ne commande que par elle. Le roi n’est, d’ailleurs, pas sans mérite ; il a de la promptitude, de la vivacité. Il promettrait beaucoup si son éducation avait été meilleure, et s’il eût eu l’esprit plus enclin aux choses sérieuses… » Cependant cette éducation qui avait été si négligée, cette prolongation de l’enfance ménagée avec tant d’art, cette incapacité de s’appliquer aux choses sérieuses dont on se réjouissait dans l’entourage de Marie de Médicis, abandonnaient le jeune roi à des influences qui, négligées tout d’abord, formèrent bientôt l’écueil sur lequel devait échouer la fortune politique de la reine mère et de Concini. Depuis quelque temps déjà on se rendait compte que les conseils de Luynes s’étendaient au delà de « la petite volerie » et des pies-grièches.

Cette histoire de Luynes est un véritable conte de fées. Luynes, Brantes et Cadenet, trois frères provençaux, avaient hérité de leur père, brave capitaine dans les troupes du roi Henri, trois choses : une petite seigneurie, située entre Aix et Marseille, nommée Luynes, « et elle était si petite qu’on disait qu’un lièvre la franchissait d’un bond plusieurs fois par jour » ; une métairie chétive nommée Brantes, « assise sur une roche et où le père avoit fait planter une vigne » ; enfin une île nommée Cadenet « que le Rhône avoit quasi toute mangée et qui disparaissait de temps à autre par le cours du fleuve, pour être remplacée par une autre qu’on appelle Limen. » À la mort de leur père, les trois frères se partagèrent cet héritage un peu chimérique et vinrent à la cour. Ils étaient très adroits aux exercices, jouaient bien à la courte-paulme et au ballon. L’aîné fut page du comte de Lude, puis introduit auprès du roi Henri IV par un favori propre à tous les services, La Varenne. Il plaisait par sa jolie figure, sa tenue modeste, son esprit discret et mesuré. Il obtint une pension de quatre cents écus, sur laquelle il nourrit ses deux frères : ils étaient unis tous trois d’une amitié si tendre qu’on ne pouvait s’empêcher de les admirer et de les aimer.

Après la mort de Henri IV, quand le nouveau roi vint à grandir, on commença à s’occuper de ses relations journalières ;