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authentique de la reconnaissance que je vous dois et de mon affection inviolable à votre service… Je ne prétends pas pouvoir jamais me décharger de la moindre des obligations que vous avez acquises sur moi, mais bien de vous faire paroître par la suite de toutes mes actions que j’aurai perpétuellement devant les yeux les diverses faveurs que j’ai reçues de vous et de Mme la maréchale… » L’Italien se payait-il de cette monnaie ? Il était assez fin pour en savoir le prix. Cependant, conseillé par Barbin, poussé par sa femme, sachant qu’il avait besoin de créatures dont la fortune dépendît uniquement de lui, il se vantait de son choix. Richelieu dit lui-même : « Je lui gagnai le cœur et il fit quelque estime de moi dès la première fois qu’il m’aboucha. Il dit à quelques-uns de ses familiers qu’il avoit un jeune homme en main capable de faire la leçon à tutti barboni. »

L’amitié des Concini mit l’évêque en relations constantes avec Marie de Médicis. De bonne heure, la correspondance qu’il adresse à la reine témoigne d’une sorte d’aisance et de familiarité. Dans les conciliabules des deux femmes, la présence du secrétaire des commandemens paraissait toute naturelle. Il est facile de s’imaginer la nature des entretiens entre ces trois robes : la reine, lourde, massive, boudeuse et peu caressante, cherchant toujours une distraction, un conseil, une impulsion extérieure capable de la tirer de son indolence ; la maréchale, fine, inquiète, mobile, toujours partagée entre ses convoitises insatiables et les terreurs de sa folle imagination ; l’évêque, insinuant, adroit, égoïste, menant déjà les deux femmes au gré de sa froide volonté et les tenant sous le feu de son pénétrant regard.

En sortant de ces conciliabules, il pouvait se croire arrivé à ses fins. Il ne manquait guère à son autorité que ce fini, cet achevé qui accompagne l’expérience et qui récompense les grands services. Il y manquait autre chose, à quoi il est vraiment extraordinaire que cet homme si éveillé et si prudent n’ait pas songé : je veux dire l’adhésion du roi lui-même, de Louis XIII. Cette ambition hâtive, absorbée par le présent, ne sut pas deviner l’avenir, un avenir si proche ! Luçon ne paraît pas s’être préoccupé de savoir si ce prince de seize ans que tout le monde négligeait ne se réveillerait pas bientôt pour parler en maître. La compagnie et la faveur des femmes lui avait paru d’accès plus facile et de commerce plus agréable. Il s’en tint là. Son sourire, qui ne négligeait personne, négligea celui qui commandait à tous. Aussi, Louis XIII ne l’aimait pas. Ce prêtre à la fois anguleux et souple, ce scrutateur de conscience, cet homme froid, déplaisait à sa nature timide et violente. Richelieu allait bientôt se repentir de sa faute : son