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de temps en temps, les hommes, moins absolus que l’autre sexe quand il s’agit de préjugés, descendent-ils de leur piédestal pour causer avec quelque jolie femme. Parmi celles-ci, une jeune fille : elle ne peut sourire sans que de provocantes fossettes se creusent dans ses joues ; aussi sourit-elle toujours ; elle est mise à peindre, dans le style qui convient pour un voyage de long cours ; elle semble avoir un succès universel. Je ne découvre qu’au moment d’aborder que c’est une simple demoiselle de magasin. Au Sud, plus d’une fille de bonne famille ruinée par la guerre de Sécession a dû prendre le parti de travailler pour vivre. Cette brune piquante est Louisianaise, elle touche de gros appointemens dans un des principaux magasins de la Nouvelle-Orléans. Pendant un congé elle vient de visiter la Hongrie, le pays d’origine de ses ancêtres, et toute l’Allemagne, ensuite la France. Elle a lu beaucoup de romans français : les demoiselles de magasin du Sud se piquent de littérature ; il y en a, dit-on, qui écrivent elles-mêmes dans les revues locales.. Miss *** professe un véritable culte pour George Sand, malgré l’air réservé que prennent à ce nom plusieurs passagères. — Seulement, dit-elle, en s’exaltant sur Consuelo, ses héroïnes sont trop parfaites, c’est à décourager de la vertu. — Et les fossettes d’apparaître au coin des lèvres fraîches. Voilà de grands revers bien gaîment supportés.

Rien n’est plus charmant que la promenade des jeunes filles sur le pont, bras dessus, bras dessous, escortées par quelques admirateurs de différens âges qu’elle n’ont jamais l’air de trop décourager. Point de poudre de riz qui craigne l’air salin, des cheveux abondans que le vent peut dénouer sans péril sous le béret ou la casquette qui sont presque d’uniforme. Les vieilles dames en portent aussi plantés sur de maigres chignons, cela leur va moins bien.

Bornons-nous à regarder les jeunes filles : elles sont pour la plupart minces, élancées, presque toutes grandes, une haute taille étant à la mode dans les cercles de New York, dont l’opinion s’impose, et les femmes trouvant toujours moyen, on le sait, de s’accommoder à la mode coûte que coûte. Chez plusieurs se manifestent les signes de ce qu’elles appellent nervous prostration ; la robuste santé britannique leur manque, elles n’ont pas non plus généralement la régularité de traits des belles Anglaises ; et quoique certaines dames de la Nouvelle-Angleterre m’aient fait songer à des statues grecques retouchées par une main d’esthète, il faut avouer que, dans l’Ouest, le mélange des races produit souvent des types composites d’une distinction médiocre. La taille est rarement parfaite, si pimpante que soit la tournure ; il y a trop de fragilité, trop de maigreur. Dans une réunion de femmes décolletées,