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Est-ce perversité ? est-ce innocence ? l’innocence de Daisy Miller, peinte par Henry James si merveilleusement que ses compatriotes ne le lui ont jamais pardonné ? Qui sait ?…

Le demi-monde proprement dit n’existe pas en Amérique ; néanmoins, il doit y avoir entre les femmes qui se respectent et certaine écume sociale dont on ne parle jamais une troisième catégorie, la catégorie nombreuse des coquettes plus ou moins faciles, plus ou moins galantes. Ce sont celles-ci que beaucoup d’étrangers en voyage recherchent, et pour cause. De là des appréciations générales sur le flirt américain qui n’ont d’égales, quant à l’absurdité, que les légendes qui circulent en Amérique sur l’adultère français, presque inséparable du mariage, tel que le décrivent nos romanciers. La vérité, c’est que les femmes, quand elles sont ce qu’on appelle bénignement légères, le deviennent en Amérique avant le mariage et en Europe après ; mais il y a des deux côtés de l’Atlantique beaucoup plus de filles irréprochables et de femmes parfaitement honnêtes qu’on ne le croit d’une rive à l’autre. L’observation n’en est pas neuve, mais elle est toujours bonne à faire.


II. — LA FOIRE UNIVERSELLE. — LE PALAIS DES FEMMES

À la foire universelle j’étais l’une des dernières venues ; je ne puis donc rendre que l’impression étourdissante, le souvenir de rêve que m’ont laissé deux ou trois visites rapides. Nos expositions ne m’avaient préparée à rien de pareil. Je ne doute pas qu’elles ne fussent plus complètes, plus parfaites dans le détail, mais elles n’atteignaient pas à cet effet d’ensemble qui dans ma mémoire tient du mirage, mirage aussitôt évanoui après le premier éblouissement, comme doit s’évanouir toute apparition vraiment magique. J’eus à peine le temps d’apercevoir la princesse dans ses atours couleur de soleil qui, l’instant d’après, n’étaient plus que guenilles. Jamais métamorphose ne s’opéra aussi vite, sauf dans Cendrillon. Le glas de la foire sonna le 31 octobre ; dès le lendemain il ne restait rien que le tumulte réglé d’un déménagement colossal. Au souffle de la première bise d’automne la solitude a élu domicile dans cette magnifique cour d’honneur où, l’espace d’un été, s’étaient donné rendez-vous, au milieu des fêtes et des spectacles, les délégués de toute la terre. Acteurs ou comparses s’empressaient alors de saluer en plein triomphe ce qu’il y a de plus séduisant au monde, la jeunesse, n’eût-elle que le fugitif éclat que nous appelons beauté du diable. C’était un peu là sans doute le genre de beauté des palais innombrables qui, après nous avoir procuré l’illusion du marbre, sont