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vivans. C’était le 1er  novembre, — comme un dernier tableau de la Worlds’ fair, la clôture. À toutes les boutonnières brillait le portrait de Harrison, imprimé en argent sur une cocarde de deuil ; mais je ne vis pas d’autre signe d’émotion. Le côté intéressant du spectacle était la foule à laquelle les juifs russes fournissaient un contingent lamentable. L’émigration, — une émigration involontaire, — a jeté ce flot sur les rivages du Nouveau-Monde, très malheureusement, — des gens qui ne savent pas la langue, ne comprennent pas la loi et sont, avec l’écume italienne, un sujet d’inquiétude justifié pour le pays qui les a reçus. Leur misère paraît sans remède parce qu’elle est le résultat, non pas seulement de toutes les infortunes, mais de tous les vices, de toutes les révoltes et d’une complète incapacité. Dépaysés dans un monde neuf où chacun travaille pour soi avec une vigueur, une suite, une ténacité inouïes, ils n’auraient guère d’autre alternative que celle de se faire pendre ou de mourir de faim sans l’inépuisable pitié féminine qui leur assure du pain et leur crée de l’ouvrage.

Hull-House est, entre autres choses, le refuge des étrangers indigens.

Hull-House a été fondé par miss Jane Addams. On vous dira qu’elle s’est inspirée pour cela d’un des plus admirables établissemens philanthropiques qui existent en Angleterre, Toynbee-Hall. On vous dira aussi que des centaines de maisons à peu près semblables à la sienne existent aux États-Unis, et de fait il n’y a pas de ville où je n’aie vu des settlements très bien organisés. Mais celui de miss Addams reste néanmoins unique par le caractère qu’il emprunte à la personnalité de sa directrice, par l’ascendant incomparable que celle-ci exerce.

La théorie que les riches ont besoin des pauvres autant que les pauvres ont besoin des riches décida de toutes les entreprises de miss Addams ; elle voulut mettre sa fortune, son temps, son intelligence au service de cette idée. Pour commencer, elle acheta dans un quartier perdu un immeuble dégradé où se faisaient des ventes à l’encan, Hull-House, ainsi nommé du nom de son constructeur. Elle le répara, l’embellit, lui donna une apparence propre, riante, familiale, puis s’y installa avec son amie et associée miss Starr. Beaucoup d’autres vinrent petit à petit prendre part à l’œuvre dans une mesure grande ou petite. Pour faire bien comprendre au lecteur ce qui se passe à Hull-House, le plus simple est de l’inviter à m’y suivre.

Avec la personne qui doit me présenter, je roule un certain soir très longtemps en voiture sur un pavé abominable, à travers