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Ce sont ces travaux merveilleux qui ont suppléé, en partie, pour l’Afrique à ce que lui refusait la nature. Il est impossible d’essayer de les décrire en détail, car le sol en est partout couvert ; contentons-nous d’en donner rapidement une idée.

Personne n’a su comme les Romains reconnaître les ressources d’un pays et en mettre en valeur les richesses. S’il s’agissait de l’arroser pour le rendre fertile, ils savaient se servir des moindres sources, en augmenter le débit, les entretenir, les aménager, les distribuer selon les besoins, en tirer le plus de profit possible. En Afrique, les inscriptions nous les montrent partout occupés à nettoyer les conduits, à reconstruire les aqueducs, à réparer les bassins. Ils se rendaient parfaitement compte qu’ils ne pouvaient rien faire de plus utile dans ce pays sans cesse menacé de mourir de soif ; aussi n’y a-t-il rien dont ils soient plus disposés à se glorifier que de ces sortes de travaux. Il faut voir avec quel orgueil un habitant de Calama (Guelma) se vante des réparations qu’il a faites à une piscine : « Autrefois, nous dit-il, il y coulait à peine un mince filet d’eau ; aujourd’hui c’est un véritable fleuve qui fait un bruit de tonnerre. » Les magistrats municipaux, quand ils voulaient laisser quelque souvenir de leur administration, construisaient souvent des fontaines, et quelques-unes d’entre elles, dont il reste des débris, devaient être des monumens élégans, qui joignaient l’agréable à l’utile. Il s’en trouve une à Tipasa, près de Cherchel, qui formait une sorte d’hémicycle ou de château d’eau, avec des colonnes de marbre bleuâtre et des statues. L’eau coulait d’en haut dans de petits bassins superposés, de manière à tomber de l’un dans l’autre et à y faire entendre ce bruit léger qui repose et rafraîchit aux heures chaudes du jour. De là elle se répandait dans un canal semi-circulaire où il était facile d’aller la puiser. On a découvert à Thysdrus (El-Djem) une inscription très curieuse où un magistrat se félicite d’y avoir amené de l’eau avec tant d’abondance qu’après qu’on l’a répandue dans la ville entière, au moyen de fontaines qui coulent sur les places publiques, on a pu la distribuer dans les maisons des citoyens, pour leur usage particulier, à de certaines conditions : Aqua adducta… coloniæ sufficiens, et per plateas lacubus impertita, domibus etiam certa conditione concessa. Il y avait donc dans les villes d’Afrique, aux portes du désert, il y a dix-sept cents ans, des concessions d’eau pour les habitans, ce qui n’existait, il y a un siècle, dans aucune ville de France !

Quand l’eau ne se trouve pas à fleur de terre, on creuse des puits pour l’aller prendre dans les couches souterraines ; — beaucoup d’entre eux existent encore, et les Arabes s’en servent, quand ils