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champs de Jupiter (Zagouan ? ), je marchais en tête, le premier à l’ouvrage, et je laissais des amas de gerbes liées derrière moi. J’ai ainsi coupé, sous un soleil de feu, deux fois six moissons jusqu’au jour où je devins moi-même le chef de la troupe. Pendant onze ans encore, j’ai moissonné avec eux l’épi mûr dans les campagnes numides. » Voilà comment il gagna de l’argent et finit par devenir propriétaire d’une maison et d’une ferme « qui ne manquaient de rien. « Avec la fortune, vinrent les honneurs, il fut élu décurion — c’est-à-dire conseiller municipal — dans son pays, et même il fut choisi par les décurions ses collègues pour être le premier magistrat de sa ville, en sorte que, de pauvre laboureur qu’il était, il en vint un jour à siéger, en qualité de président, au beau milieu de la curie. « C’est ainsi, ajoute-t-il, que mon travail m’a valu des années brillantes qu’aucune langue envieuse n’osa jamais troubler ; » et, comme un paysan ne perd pas l’occasion de faire un peu de morale, il prend un ton plus solennel et termine en disant : « Apprenez, mortels, par mon exemple à passer une vie sans reproche, et, comme moi, méritez par une existence honnête une douce mort. »

Mais là, comme partout, ceux qui faisaient fortune ne devaient pas être les plus nombreux. Il suffisait à la plupart d’avoir de quoi vivre ; encore n’arrivaient-ils à gagner leur vie qu’à la condition d’être fort industrieux. Ils tiraient parti de tout. Sur les coteaux, dans les plaines mal arrosées, ils plantaient l’olivier et la vigne. On voit bien au nombre des pressoirs, qu’on rencontre à tous les pas dans les ruines, que l’olivier devait être une des richesses du pays ; c’est là que Rome se fournissait de l’huile qui lui était nécessaire pour ses gymnases et ses bains publics. La vigne est en train de reconquérir, en Algérie et en Tunisie, le terrain qu’elle avait perdu ; elle en fera bientôt la fortune. Mais la principale culture était celle des céréales ; tout le monde vantait l’abondance des récoltes africaines, elle était devenue proverbiale ; pour faire entendre qu’un homme possédait une fortune incalculable, on disait « qu’il avait dans ses greniers tout le blé que récolte l’Afrique. » Le blé d’Afrique passait pour produire beaucoup plus que les autres ; on racontait qu’un procurateur d’Auguste lui avait un jour envoyé quatre cents grains qui étaient sortis d’un seul, et pourtant ces moissons étaient obtenues par les moyens les plus simples : « J’y ai vu, nous dit Pline, la terre retournée, après les pluies, par une charrue à laquelle étaient attelés d’un côté un pauvre petit âne, de l’autre une femme. » C’est un spectacle qu’on peut se donner encore, et Tissot, qui en a souvent été témoin, nous apprend que l’indigène d’aujourd’hui ne se fait pas plus de scrupule que le Libyen d’autrefois d’attacher