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à ces sonnets artistement ciselés, à ces piécettes ramassées et vigoureuses, qui ont pour titre : La Sereno ; En Arle ; Patimen ; Sus un tablèu dòu Procacino ; Palinello ; Li Noço de Mistrau ; La Messo de Mort ; La Crous ; Li dous Printems ; Lis Estello ; Uno Veniciano ; Bèumoimo, etc. Ce sont là les vraies filles d’Avignon ; en revanche, nous leur conseillons de passer vite sur d’autres poésies d’Aubanel qui sont filles de Paris, et sur lesquelles s’égare naturellement l’admiration naïve de braves gens qui riment en oc, au fond des provinces. Nous voulons parler des compositions, — de plus longue haleine en général, — dans lesquelles Aubanel, sous l’influence des cénacles parisiens où il fréquentait, dans le dernier tiers de sa vie, eut le grand tort de vouloir rivaliser avec certains poètes contre lesquels son bon sens avait pourtant protesté en ces termes, aux premières rencontres : « Leurs thèses ne sont pas du tout amusantes et leur poésie est diantrement dans les nuages. » Il lui est arrivé en effet d’abuser de la souplesse de son provençal et de sa facilité à recevoir l’aumône, pour le disloquer, suivant la pire mode du Parnasse, et l’encombrer de vocables ambitieux. On s’en convaincra en lisant par exemple Li Fabre ou Noço de fio. C’est là qu’Aubanel fait vraiment des vers latins, au mauvais sens du mot. Passe encore pour Luno pleno où la lune s’appelle encore la lune et non Fébè.

Maison retrouvera l’Aubanel du Bal et de la Vénus d’Avignon dans le drame du Pain du Péché. À côté de vingt endroits où l’on entend le poète lyrique, à la place de ses personnages, combien d’autres où la passion parle toute pure ! C’est une scène d’une belle couleur, que celle du puits où les mains de l’amoureuse Fanette et du pâtre Véranet s’emmêlent sur la corde du seau, comme celles de Vincent et de Mireille parmi les feuilles de mûrier ! Elle nous semble originale encore, même après Phèdre, et combien caractéristique du talent d’Aubanel, la scène de la déclaration d’amour au deuxième acte, avec son hardi dénouement, Oaristys tout antique dont le réalisme a fait reculer jadis le traducteur et le Théâtre-Libre ! Le dialogue entre les deux adultères et l’hôtesse qui devine leur faute, rien qu’à les voir rudoyer le petit de l’auberge ; l’entrée du mari trahi apportant à ses enfans qu’il traite de bâtards le pain du péché qui tue ; le délire de cette Phèdre de Camargue qui, avant de se frapper à mort, et, tout en demandant pitié à son mari, pour son crime, ne peut s’empêcher de déclarer, tant Vénus est attachée à sa proie : « S’il était ici, le jouvenceau, je ne pourrais me sevrer de ses baisers ardens » ; et jusqu’à la brutale inclémence du paysan qui s’écrie devant le cadavre tiède de sa femme coupable : « Morte comme un damné, comme un chien enterrée. Ah ! le pain du péché est amer, camarades ! » nous semblent