Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passer. Elle désire qu’à défaut de sciences on lui apprenne une foule de demi-sciences ; elle multiplie à l’infini les objets d’étude : plus les programmes sont touffus, plus elle est contente. L’ancienne pédagogie anglaise avait pour maxime que les collèges sont destinés surtout à aiguiser l’esprit, à enseigner à la jeunesse un petit nombre de choses qui, bien apprises et bien sues, la rendront capable d’en apprendre par elle-même beaucoup d’autres. Ce principe était d’une admirable justesse, mais peut-être y avait-il de l’excès dans l’application. Lord Palmerston avait été un brillant élève de Harrow. On raconte que, occupé de former un cabinet et ne trouvant personne qui voulût se charger du portefeuille des colonies, il le prit pour lui en disant : « Helps, vous monterez avec moi après la conférence ; nous regarderons ensemble sur la carte, et vous me montrerez où tous ces endroits-là sont situés. » Lord Palmerston aimait à rire, et j’imagine, que s’il n’avait pas appris à Harrow où étaient situés « tous ces endroits-là », il avait pris depuis quelques informations à ce sujet. « Ne craignez rien, disait à M. Leclerc le principal du collège de Dulwich, ils apprendront la géographie en courant le monde. » Il est fâcheux de n’en pas apprendre un peu au collège, mais ce qui l’est beaucoup plus, c’est de croire qu’on sait tout quand on ne sait rien. « Bourrez-les, bourrez-les ! disent des deux côtés de la Manche les nouveaux pédagogues, il en restera toujours quelque chose. » Ce qu’il en reste le plus souvent, c’est une présomptueuse ignorance.

En réformant ses établissemens d’instruction publique, l’Angleterre a travaillé sur des patrons qui lui étaient fournis par le continent ; mais ce qu’il y a eu de vraiment anglais dans cette affaire, c’est la méthode employée. On ne s’est pas pressé ; le gouvernement a attendu que les journaux et d’honnêtes agitateurs eussent préparé l’opinion, et il a eu l’air de se laisser forcer la main. En ce qui concerne les écoles primaires, il n’a point dit : « Je veux. » Il a dit seulement : « Si vous n’acceptez pas mes propositions et mes inspecteurs, vous ne saurez jamais quelle est la couleur de mon argent. » Et tout le monde a voulu être subventionné et inspecté. « Le secret de la force du gouvernement anglais, lisons-nous dans le livre de M. Lothar Bucher, est qu’il s’applique toujours à paraître plus faible qu’il ne l’est. » Ce gouvernement très fort a du goût pour les moyens détournés ; dans sa politique intérieure comme dans ses relations avec les peuples étrangers, il préfère aux coups d’autorité les savans artifices, et il aime à prouver que la ruse n’est pas toujours l’arme des faibles.

Au surplus, quoique les moyens fussent anodins, la solution a été radicale, et les Anglais le savent bien ; mais dans le fond nos voisins sont plus révolutionnaires qu’il ne semble. On s’imagine quelquefois que du jour où Charles II fut monté sur le trône, l’Angleterre oublia qu’elle avait vécu quelque temps en République, et ne conserva d’autre