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acquis pendant qu’il était à la tête de la troisième légion. C’est ainsi qu’avec le temps des familles illustres de Rome s’établirent en Afrique, les Lollii à Tidsis, les Arrii Antonini à Milève, et bien d’autres encore. Ces grands seigneurs se bâtissaient des résidences somptueuses, avec des greniers pour les denrées, des étables pour les bêtes, des logemens pour les serviteurs, et naturellement il a dû rester plus de traces de ces vastes constructions que de l’humble demeure de ces pauvres fermiers dont je viens de parler.

Le hasard nous a précisément conservé quelques débris d’une de ces grandes maisons, et nous pouvons, en les visitant, nous représenter la façon dont l’aristocratie africaine s’installait dans ses terres[1]. Sur la route de Constantine à Sétif, près du petit village d’Oued-Atménia, dans une grande plaine ondulée qui est encore aujourd’hui fertile et bien arrosée, un Arabe qui labourait un champ rencontra un obstacle sur lequel vint se briser le soc de sa charrue : on fouilla le sol pour savoir d’où venait la résistance, et l’on découvrit d’abord une muraille, puis un commencement de mosaïque, qui parut très bien conservée.

Les travaux furent continués avec soin, et l’on finit par mettre au jour les restes d’un édifice qui mesurait plus de 800 mètres carrés. Il fut aisé de voir que c’étaient des bains, et qu’il n’y manquait rien de ce qu’on trouve à Rome et ailleurs dans les établissemens de ce genre. À l’une des extrémités, on reconnaît l’hypocauste, entouré de corridors pour faciliter le service, avec des bancs de pierre où les esclaves chargés d’allumer et d’entretenir le fourneau s’asseyaient pour se reposer ; puis viennent les salles où l’on passait par des degrés divers de chaleur, le caldarium, le sudatorium, le tepidarium ; le pavé y est suspendu sur des piliers de brique, pour qu’on puisse chauffer par-dessous ; les plinthes de marbre qui couvrent les murs sont séparées de la grosse maçonnerie par un vide de trois centimètres pour faire circuler partout la chaleur, tandis que des tuyaux de grès la distribuent

  1. Les fouilles, dont je vais parler, ont été faites par la Société archéologique de Constantine, une de celles qui, en Algérie, ont le mieux servi la science. M. Poulle, qui la présidait alors, en a rendu compte dans un mémoire détaillé que je me contenterai de résumer. La Société a publié aussi un plan de l’édifice et une reproduction des mosaïques dans de très belles planches dont Tissot s’est servi dans sa Géographie de l’Afrique, et M. Duruy dans son Histoire romaine. Malheureusement on s’est aperçu depuis que les planches n’étaient pas toujours d’une exactitude rigoureuse. Pour être renseigné sur les libertés que le dessinateur avait prises avec l’original, je me suis adressé à M. Mercier, président actuel de la Société de Constantine, dont je savais l’obligeance, et qui est connu par d’excellens travaux sur l’histoire de l’Algérie. M. Mercier a bien voulu m’indiquer les petites irrégularités de détail qu’on a relevées dans la copie, et me faire parvenir une reproduction nouvelle, et cette fois absolument exacte, d’une partie de la mosaïque, celle qui couvrait le sol de l’Atrium. Il ajoute qu’aujourd’hui tout est irrémédiablement perdu.