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saint Augustin est déjà assez maître de lui-même et maître de son sujet, pour dicter des considérations sur la matière à un jeune homme assis à ses pieds. Ces quatre notes de foi, de recherche, d’enthousiasme, et d’exposition doctrinale, sont répétées et répercutées, à des degrés très variés et avec des nuances infinies, dans le reste de l’assistance, composée de papes et d’évêques, de prêtres et de laïques, d’hommes de tout âge et de toute condition. Ne cherchez pas à savoir leurs noms ; et, puisque l’artiste s’est contenté d’indiquer seulement les quatre docteurs avec saint Thomas d’Aquin et saint Bonaventure par des inscriptions expresses dans leurs auréoles, n’allez pas au delà de ses intentions et n’essayez pas, à la suite d’une critique fourvoyée, de vouloir identifier les diverses figures au moyen d’inductions et hypothèses abstruses ; mais étudiez leurs diverses attitudes et leurs expressions diverses, et rendez-vous compte des sentimens et des idées qui animent chacun des fidèles. Regardez le geste magnifique de cet homme qui est placé en face de saint Ambroise, ou de cet autre qui se penche sur saint Jérôme ; regardez surtout ces trois jeunes gens courbés derrière le siège de saint Grégoire, le groupe à mon sens le plus admirable de tous. Raphaël, on l’a remarqué très justement, a emprunté l’idée de ce groupe à l’Adoration de Léonard qui est aux Uffizi ; mais qu’il l’a rehaussé et rendu tout autrement saisissant rien que par le milieu où il l’a placé ! Au milieu de tant et de si importans personnages qui scrutent et discutent, qui acquiescent ou qui hésitent, qui s’interrogent ou qui s’exaltent, ces trois jeunes gens ne demandent rien, ne raisonnent point, ne lèvent même pas les yeux, et adorent silencieusement, humblement, dans la simplicité de leur cœur : ils sont aussi les seuls à être à genoux !… Suivez ainsi du centre, de l’autel, les modulations et ondulations de l’hymne sacré jusqu’à ce qu’il s’exhale et expire des deux côtés de la fresque ; à ces limites, vous verrez les têtes bien caractérisées et bien connues de Fra Angelico, de Dante, et de Savonarole. L’introduction en ces lieux du plus mystique des peintres et du plus religieux des poètes n’a pas besoin de commentaire ; je me permettrai seulement de noter certain avertissement de Dante au début du Paradis : « que ceux-là seuls pourront suivre son sillage sur la haute mer, qui de bonne heure ont tendu leur cou vers le pain des anges, ce pain

dont on vit ici, mais dont jamais on ne se rassasie<ref>

Voi altri pochi, che drizzaste il collo
Per tempo al pan degli angeli, del quale
Vivesi qui, ma non sen vien satollo,
Metter potete ben per l’alto sale
Vostro navigio, servando mio solco
Parad., II, 10-15.

</<ref>… » Il se