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ici que la philosophie à la mode, que le système triomphant du jour ! Et quoi d’étonnant d’ailleurs ? N’est-ce point la mission propre de l’art de concilier la réalité et l’idéal, d’unir l’analyse à la synthèse ? et Platon et Aristote ne figurent-ils pas déjà ensemble comme les représentans de la disciplina disciplinarum au campanile de Giotto et dans tel tableau du XIVe et du XVe siècles ? Jamais pourtant cette union des deux maîtres n’a été proclamée avec autant de force et d’éclat que dans la peinture de la Segnatura : ils sont présentés là, devant nous, chacun dans son droit légitime et souverain. Si du côté de l’un vous remarquez la statue d’Apollon, du côté de l’autre se dresse celle de Minerve ; ils sont au même plan, se détachent sur le même ciel bleu et limpide, enseignent dans le même temple, — et ce temple est le futur Saint-Pierre ! La nouvelle basilique, dont vous n’avez fait qu’entrevoir les premiers fondemens dans la Dispute, vous pouvez en admirer ici l’intérieur tout achevé, tout orné, tel que le rêvait Bramante et qu’il l’a bien voulu dessiner, dit Vasari, pour son jeune compatriote et ami. Magnifique par sa perspective pittoresque, l’architecture de l’École d’Athènes est encore plus magnifique par sa perspective morale : la pensée grandiose, ou, si vous l’aimez mieux, la grandiose utopie de la Renaissance, elle est là tout entière !…


IV

La radieuse peinture ! — dit le chanoine, après avoir contemplé quelque temps en silence le Parnasse, vers lequel il s’était approché en s’aidant de mon bras ; — la suave et radieuse peinture, et que tout y est grâce, noblesse, poésie ! Le ciel, malheureusement si délabré aujourd’hui, laisse encore voir par endroits sa limpidité d’autrefois ; le rocher, la verdure, la source jaillissante et le bois de lauriers envoient à l’âme des bouffées de fraîcheur. Les personnages, beaux, splendides, et plutôt dispersés que groupés, échangent au passage des regards et des paroles, s’ils n’aiment mieux s’abandonner à des attitudes d’une mollesse et d’une langueur ineffables. Voyez Sapho dans sa pose serpentine au versant de la montagne ! Regardez les trois Piérides, si gracieusement entrelacées, tout près de l’Apollon, et dont l’une appuie sa tête sur l’épaule de sa sœur — encore une réminiscence de Giotto, de son Banquet d’Hérode dans la chapelle Peruzzi, soit dit en passant ! Ne cherchez pas dans cette composition ravissante l’ordonnance savamment combinée, les contrastes profonds, les expressions puissantes de la Dispute et de l’École d’Athènes. Descendu des hauteurs de la théologie et de la philosophie dans ce vallon boisé