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qui ne soutiennent rien, et qui ne sont qu’un pur ornement ! quelles masses d’eau qui tombe en cascade avec fracas ! Nous sommes arrivés à un tel raffinement de délicatesse que nos pieds ne peuvent plus fouler que des pierres précieuses. » Voilà les folies que se permettaient les riches Romains au premier siècle de l’empire. L’exemple de Rome était imité dans tout l’univers, et l’on comprend qu’un grand propriétaire d’Afrique qui voulait se mettre à la mode ait tenu à reproduire quelque chose de ces prodigalités.

S’il s’était fait construire des bains si magnifiques, soyons assurés que sa maison devait être plus grande encore et plus belle ; mais il n’en existe plus rien, ou du moins on n’en a rien découvert jusqu’à ce jour. Heureusement nous n’avons pas besoin de faire des fouilles pour la connaître, et, sans sortir des bains, nous allons avoir le moyen de nous figurer ce qu’elle était. Je viens de parler des mosaïques qui en tapissent le sol ; elles ont un caractère qui nous les rend particulièrement précieuses. Le propriétaire aurait pu se contenter, comme tant d’autres, d’y faire copier un sujet banal, le triomphe d’Amphitrite ou de Bacchus, les travaux d’Hercule, etc. ; mais il a voulu quelque chose qui fût fait pour lui et ne convînt qu’à lui ; il a demandé à l’artiste de reproduire sa maison, son parc, ses jardins avec leurs agrémens, comme nos rois ont fait décorer quelquefois leurs palais de tableaux ou de tapisseries qui représentaient leurs principales résidences. Le maître mosaïste a dû prendre sans doute de grandes licences avec la réalité ; il n’a pas dû tenter de donner à un travail purement décoratif la perfection et l’exactitude qu’on apporte à des œuvres d’art achevées : c’est un à peu près qu’il faut juger d’ensemble, mais qui nous donne pourtant une idée d’un grand domaine romain à l’époque impériale. Puisque le voilà sous nos yeux, ne résistons pas à la tentation de le parcourir un moment.

Remercions d’abord l’auteur des mosaïques des indications précieuses qu’il nous a données ; comme il craignait qu’on ne se reconnût pas toujours dans ses peintures, il a pris le parti de placer à côté de chacun des tableaux des légendes qui nous font connaître les lieux et les hommes. Au-dessus de la maison s’étale en grosses lettres le nom du propriétaire : il s’appelait Pompéianus. Sa maison, qui occupe le haut d’une des mosaïques, ne présente pas ce large développement de façade et ces belles apparences de régularité qui sont à la mode chez nous, surtout depuis la Renaissance. Les Romains paraissent y avoir médiocrement tenu. Leurs villas, faites pour l’usage, se composaient d’ordinaire d’une réunion de corps de logis différens, plus juxtaposés qu’unis, et qu’on avait construits à mesure qu’on en sentait le besoin. C’est bien ainsi