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le littoral de la Baltique à la masse principale de l’armée, il la porterait de la basse Vistule sur Kœnigsberg, la pousserait ensuite sur le Niémen, franchirait ce fleuve aux environs de Kowno, et déboucherait subitement en Lithuanie. Wilna était son premier objectif ; c’était en ce point qu’il comptait opérer sa brèche, percer la ligne russe, la diviser en plusieurs tronçons qu’il écraserait les uns après les autres, décidant ou au moins préjugeant par ces coups de foudre le sort de la campagne.

Il incline donc à sa gauche, au sortir de Posen, et, quittant le chemin de Varsovie, atteint la Vistule à Thorn. Déjà son grand et son petit quartier général, formant à eux seuls presque une armée, l’ont précédé dans cette ville, qu’ils emplissent d’animation et de mouvement. À Thorn, Napoléon est en un point stratégique important et au centre de ses troupes ; il les retrouve enfin et les voit, réparties autour de lui dans d’innombrables cantonnemens : tout près de Thorn et un peu en arrière est sa Garde ; en avant de lui, à ses côtés, sur sa droite et sur sa gauche, partout, la Grande Armée ; à gauche, les corps de Ney, d’Oudinot, de Davout, le corps en formation de Macdonald, occupent les deux rives de la basse Vistule et s’échelonnent jusqu’à la mer ; à droite de Thorn, à sept heures de marche, Eugène est établi avec l’armée d’Italie et les Bavarois ; il se relie aux Polonais de Poniatowski, qui s’appuient eux-mêmes aux trois corps placés sous le commandement du roi Jérôme et postés autour de Varsovie. Renforcée par quatre corps exclusivement composés de cavalerie, cette chaîne d’armées se prolonge sans interruption sur cent vingt lieues de terrain et présente à l’ennemi plus de quatre cent mille hommes, quatre-vingt-douze mille chevaux et mille bouches à feu ; en arrière, des réserves s’accumulent ; aux deux extrémités de la ligne, les contingens autrichien et prussien viennent se placer dans le rang et élargir le front de bataille.

Sans mettre encore en mouvement aucune partie de ses masses, Napoléon avise aux mesures qui précèdent immédiatement l’entrée en campagne, aux précautions dernières. Il rapproche ses réserves, appelle les divisions et les brigades retardataires, porte au grand complet ses effectifs et ses munitions. Il fait verser dans les caissons, puis des caissons dans les gibernes, les millions de cartouches qu’il a entassées dans les magasins de la Vistule. La question des subsistances est ce qui le préoccupe le plus ; il sent là l’extrême difficulté et le grand danger. Aussi décide-t-il que tous les corps, au moment de prendre contact avec l’ennemi, devront être pourvus de vivres pour vingt à vingt-cinq jours, sans préjudice des vastes réserves de pain, de biscuit