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dépassait Kœnigsberg et atteignait Insterburg, situé à mi-chemin entre la capitale de la Prusse orientale et le Niémen. Les autres corps suivaient, retardés par l’encombrement des routes et la file interminable des convois. Le même jour, l’empereur accourt de Dantzick à Kœnigsberg, pour activer et régulariser le mouvement. En même temps qu’il cherche à s’éclairer sur la position de l’ennemi, il ralentit un peu la marche de l’avant-garde et presse celle des autres colonnes ; il resserre et condense son armée, afin de la tenir mieux en main et de rendre irrésistible le choc de cette masse qu’il va précipiter d’un seul coup sur les frontières de la Russie. Enfin, sur le point de donner à ses troupes l’impulsion suprême, celle qui les portera au delà du Niémen, il fait rédiger les actes par lesquels il va se reconnaître et se proclamer en lutte avec Alexandre.

La hautaine sommation d’évacuer la Prusse avant tout accord sur le fond du litige, la demande de passeports présentée par Kourakine et équivalant à une déclaration de guerre, lui fournissaient des motifs très suffisans. Après avoir volontairement laissé dormir ces griefs, il les relève aujourd’hui, s’en empare, s’en arme ; il ramasse le gant et répond au défi. Mais sous quel prétexte, après avoir considéré à dessein les démarches qu’il incrimine comme le fait personnel d’un ambassadeur malavisé, va-t-il les attribuer au gouvernement russe lui-même, sans que ce gouvernement se soit expliqué, et les prendre pour ce qu’elles sont réellement, c’est-à-dire pour l’expression préméditée d’une volonté hostile ? La Russie venait de lui faciliter indirectement cette interprétation nouvelle. Elle n’avait point fait mystère des conditions posées dans son ultimatum ; ses agens à l’étranger en avaient été instruits ; ils en avaient parlé, sur un ton d’ostentation et de jactance ; ils en avaient précisé le sens et souligné la portée. La presse s’emparait de ces dires ; les journaux anglais reproduisaient, commentaient, approuvaient les exigences d’Alexandre, et toute l’Europe savait que le tsar prétendait nous imposer, comme préliminaire indispensable d’une négociation, l’affranchissement de l’Allemagne et le retrait de nos troupes. Cette publicité donnée à l’injure la constate et l’aggrave, la rend insupportable, et c’est ce que le secrétaire d’État au département des relations extérieures, le duc de Bassano, doit faire ressortir dans une circulaire adressée, par l’intermédiaire de nos agens, à tous les cabinets de l’Europe.

En même temps que ce manifeste de guerre, le duc signait un rapport, mélange de sophismes et de vérités, qui résumait nos dernières relations avec la Russie et constituait contre elle un fulminant