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de ces ateliers mobiles, les visite, les inspecte, veille à ce qu’ils soient constamment alimentés. En même temps, marchant désormais avec l’avant-garde, c’est-à-dire avec Davout et la Garde, prenant la tête du mouvement, il règle et accélère l’allure, force le pas. Il couche le 17 à Insterburg, le 19 à Gumbinnen, raccourcissant chaque jour de moitié la distance qui le sépare du Niémen.

À Gumbinnen, un courrier de notre ambassade en Russie se présenta au quartier général. Il venait en droite ligne de Pétersbourg et apportait la nouvelle que l’empereur Alexandre, non content d’éconduire Narbonne, avait refusé de recevoir Lauriston et lui avait interdit de venir à Wilna ; le tsar avait ainsi violé les règles de la politesse internationale et le droit reconnu des ambassadeurs, en même temps qu’il attestait encore une fois sa volonté d’échapper à toute reprise de discussion. Napoléon nota ce suprême grief et le mit en réserve, résolu de s’en servir à l’occasion, si les Russes, après le début des hostilités, rouvraient la controverse et venaient à lui contester son. droit d’offensé.

Il arriva le 21 de grand matin à Wilkowisky. Là, il n’avait plus à parcourir que sept lieues environ, à travers un pays de bois, de sables et de collines, pour arriver au Niémen. Il fit halte quelques heures à Wilkowisky, tandis qu’autour de lui les soixante-quinze mille hommes de Davout couvraient le sol, et ce fut dans cette humble bourgade, misérable amas de chaumières, qu’il dicta l’ardente proclamation par laquelle il appelait ses soldats à la « seconde guerre de Pologne ».

Cette proclamation fut envoyée à tous les chefs de corps, avec ordre de la faire lire sur le front des régimens lorsque ceux-ci auraient atteint le Niémen et s’ébranleraient pour le franchir : en cet instant solennel, elle parlerait mieux aux imaginations et enflammerait les cœurs. Napoléon passa le reste de la journée à prendre les mesures nécessaires pour que le lendemain 23 son armée fût tout entière établie et massée derrière les ondulations boisées qui bordent la rive gauche. Il régla minutieusement cette suprême étape ; il indiqua à Davout, à Oudinot, à Ney, au duc de Trévise, qui commandait l’infanterie de la Garde, leur direction et leur destination ; le mouvement devait commencer au petit jour, à la première heure, et s’exécuter rondement, afin que chacun arrivât successivement au point indiqué et que tout le monde fût exact au grand rendez-vous. Mais lui-même, emporté par son ardeur, n’attend pas pour partir que la nuit se soit écoulée et que les troupes aient rompu leurs bivouacs. Il ne marchera plus cette fois avec elles ; il prend les devans et se détache.