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les gazelles, sæptum venationis ; l’autre beaucoup plus compliqué qui contient une dizaine de personnages, et représente ce qu’on appellerait aujourd’hui l’équipage de chasse de Pompéianus. On y voit des chiens, Fidelis et Castus, qui poursuivent la bête, avec des cavaliers et des piqueurs, dont on a soin, comme toujours, de nous dire le nom. Ils sont vêtus, presque comme certains montagnards d’aujourd’hui, de pantalons serrés au genou ; ils ont un berret plat sur la tête ; une sorte de justaucorps enferme leur taille, ils portent le manteau rejeté sur l’épaule, à la façon des Espagnols. Les cavaliers ont la lance en arrêt ; les gens de pied tiennent une épée à la main ; le maître de la maison, sur un cheval qui se cabre, conduit la chasse ; il est vêtu comme les autres, mais sans armes.

Assurément l’artiste n’a pas pu décrire tous les détails de la vie qu’on menait dans ces grands domaines ; il n’a reproduit qu’une partie des bâtimens qui entouraient la maison du maître. Mais il en indique au moins les plus essentiels : ici, c’est la résidence du chef du troupeau (pecuarii locus) ; là, celle du forestier (saltuarii janus), construction énorme, avec son toit aux tuiles rouges, ses pavillons à quatre étages et ses dépendances plus basses[1].Mais voici un tableau plus étrange et plus curieux : l’artiste a représenté un verger, avec des arbres d’espèce différente, le long desquels grimpe la vigne ; au pied d’un palmier chargé de fruits mûrs, une dame est assise sur une chaise à dos, comme une matrone respectable. Elle est élégamment vêtue et porte à la main un éventail ; devant elle, un jeune homme, couvert d’une tunique courte, tient en laisse un petit chien, et, de l’autre main, abrite la dame sous une ombrelle. Sur le haut du tableau on lit : filosofi locus. Nous voilà donc bien avertis ; nous avons devant les yeux le bosquet où se tient le philosophe. Mais lui-même, où est-il ? Faut-il le reconnaître dans le jeune homme qui tient le chien et tend l’ombrelle ? Je suis d’abord assez tenté de le croire, quand je me souviens des récits matins de Lucien, qui nous montre les sages de son temps fort empressés auprès des grandes dames et les amusant de belles paroles pendant qu’elles font leur toilette. Il en cite même un, le stoïcien Thesmopolis, qui, comme notre jeune homme, se charge

  1. Les mosaïques si intéressantes que M. de la Blanchère a réunies au musée Alaoui, à Tunis, contiennent quelques reproductions de bâtimens de ferme, qui nous mettent sous les yeux, d’une manière très vivante, les exploitations rurales à l’époque romaine. Les plus curieuses sont celles qu’on a trouvées dans la ferme Godmet, à Tabarka. L’une d’elles nous offre l’image d’une maison à plusieurs étages, parfaitement conservée, avec des canards, des dindons et des poules, dans la basse-cour. Dans une autre, tandis que le cheval est attaché à la porte de l’écurie, une femme, assise sur un banc, file en gardant les moutons. Ce sont des scènes de la vie rustique des Romains, prises sur le vif.