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que vous devez comprendre, en attendant que vous l’expérimentiez.

La jeune fille secoua sa belle tête aux traits romains, et garda de nouveau le silence.

Quelques jours plus tard, au retour d’une excursion, elle alla s’asseoir sur le hamac placé à l’entrée de sa demeure, et se balança indolente. Nous avions, durant notre promenade, rencontré un cactus couvert de fleurs écartâtes, fleurs dont elle avait fait une copieuse récolte, et qu’elle s’occupa bientôt de fixer sur une tige de liane. De son travail résulta une couronne qu’elle posa sur ses cheveux noirs, ravissante parure. Satisfaite de son œuvre, elle s’étendit à demi sur sa couche aérienne, et ce n’était pas sans un peu de trouble que je voyais ses épaules à découvert, sa poitrine de statue se dessiner sous la transparence de sa chemisette brodée. Lorenzo et Maximo parurent, s’établirent comme moi en face d’Amada. Lorenzo souriait à la belle fille, Maximo la regardait d’un œil morne, chacun des deux frères obéissant ainsi à sa nature, à son humeur.

C’était avec une parfaite innocence que la jeune fille, soit en se redressant, soit en se recouchant, nous montrait sa beauté rayonnante, qu’elle ignorait en réalité. Or son abandon languissant, non prémédité, était peut-être par cela même plus dangereux, plus capiteux, que ne l’eût été une coquetterie savante. Lorenzo avait apporté une xarane et, l’ayant tant bien que mal accordée, il se mit à jouer un de ces air étranges, populaires dans la Terre chaude, dont la ritournelle revient monotone, mais berçante. S’échauffant, le jeune homme improvisa des paroles sur l’air qu’il jouait, des paroles rythmées dans lesquelles il célébrait la beauté d’Amada, tout en la déclarant très classiquement une ingrate, une tigresse inhumaine, pourvue d’un cœur de roche. En même temps, il vantait l’éclat de ses yeux, l’arc de ses sourcils, ses dents de perles, et ces louanges ne paraissaient pas déplaire au modèle. Tout à coup Amada descendit de son hamac, et, enlevant la couronne posée sur ses cheveux, elle la plaça sur le front du poète-musicien.

Maximo fut aussitôt debout, pâle, les lèvres serrées, l’œil mauvais. Le chant, l’improvisation de Lorenzo l’avaient irrité, et, tant que cette scène avait duré, j’avais vu son regard défiant, douloureux, aller de l’un à l’autre des deux jeunes gens. Il marcha vers Amada qui comprit sa peine, arracha aussitôt un bouquet passé dans sa ceinture de crêpe de Chine, et le lui tendit souriante. Le jeune ranchero repoussa le don.

— Tu aimes Lorenzo ? dit-il avec effort.

— Comme je t’aime toi-même, Maximo.

— Il t’aime pour ta beauté que le temps flétrira, reprit le vaquero d’une voix étranglée, il vient de te le dire dans la chanson