vivant, moitié après sa mort, par une série de contrats qui ressemblaient presque autant à des donations qu’à des ventes, sur la tête des collaborateurs anonymes qui avaient contribué à la faire prospérer. Elle compléta cette œuvre, d’une portée sociale qui dépassait de beaucoup les limites de la philanthropie, en dotant ce phalanstère du Bon Marché d’institutions de retraites et d’épargne qui sont demeurées des modèles.
La mort de M. Boucicaut n’avait pas interrompu le succès de l’établissement ; depuis le décès de sa veuve, survenu en 1887, les affaires n’ont cessé de se développer encore. Elles ont atteint en 1893 le chiffre de 150 millions de francs, le plus élevé auquel il ait été donné à une maison de commerce de parvenir jusqu’ici dans le monde. Rapproché de ce chiffre prestigieux, le total des bénéfices nets, quoique considérable en lui-même, semble relativement modeste. Il justifie le grand organisme des attaques auxquelles il est en butte. Les bénéfices du Bon Marché, qui ont été l’année dernière de 8 millions, ne représentent en effet qu’un courtage d’environ 5 pour 100 sur le prix des objets qui ont traversé ses galeries. Ces 8 millions sont le résidu laissé dans la caisse par les 150 millions que le public y a versés, après qu’il a été payé par le magasin 118 millions à ses fournisseurs, et qu’il a été pourvu aux frais généraux dont le chiffre s’élève à 24 millions. Sur ces 8 millions, 1 million a été porté à la réserve statutaire, qui monte aujourd’hui à 27 millions ; 200 000 francs ont été portés à une réserve spéciale d’incendie, qui atteint déjà 6 500 000 francs ; le solde de 6 800 000 francs, — auquel viennent s’ajouter environ 400 000 francs de rente provenant des valeurs mobilières figurant dans la réserve, — a été distribué aux actionnaires.
La réserve actuelle est le produit d’une épargne très sévère, puisque, au début de la société formée par Mme ’ Boucicaut entre elle et ses employés, on décida qu’il ne serait pas distribué un centime de dividende jusqu’à ce que les économies eussent atteint 6 millions de francs ; qu’ensuite, jusqu’à 20 millions, il serait mis à part 45 pour 100 des bénéfices ; et qu’enfin, au-dessus de 20 millions jusqu’à 40 formant le maximum auquel on s’arrêtera, 25 pour 100 du gain annuel serait placé en fonds d’État ou obligations de chemins de fer. Grâce à ce capital immobilisé, les actionnaires ont pu acquérir de l’Assistance publique, moyennant 14 millions, l’immeuble où est actuellement installé le Bon Marché et diverses maisons nécessaires aux services annexes, ce qui les dispense du paiement de tout loyer.
En fixant il y a quatorze ans à 20 millions, divisés en 400 parts, le capital social de la société nouvelle, Mme Boucicaut était volontairement restée bien au-dessous de la vérité. Son apport personnel,