dans son domaine. Acheteur unique, il est fréquemment absent : à Lyon, pour les soieries ; au Puy, à Calais ou en Belgique pour les dentelles ; à Grenoble, Chaumont ou Millau pour les gants ; à Roubaix ou à Reims pour les lainages ; à Elbeuf ou Sedan pour les draps ; à Cambrai, Armentières ou dans les Vosges pour les toiles. Il est ainsi parfois donné au grand magasin d’aider l’industrie nationale, par la force de sa clientèle, mieux que les gouvernemens par des subventions puisées au budget : depuis la guerre de 1871 le Louvre a, par ses commandes, ramené à Saint-Étienne la fabrication des velours de Crefeld ; il a en partie remplacé les jouets de Nuremberg par des jouets français ; il a créé, dans les Hautes-Pyrénées, l’industrie des tricotages dont Berlin et Chemnitz avaient, il y a dix ans, le monopole.
Les « lettres de commission » du Louvre ou du Bon Marché sont, pour le fabricant pauvre ou gêné, le commencement ou le retour de la fortune ; avec elles il peut battre monnaie, trouver du crédit pour l’achat des matières premières. Un souci maladroit du lucre pousserait-il le grand bazar à abuser de cette puissance ? Son intérêt même le lui défend ; pour traiter avec des maisons solides, il doit laisser au manufacturier une marge de gain raisonnable. Le succès d’une industrie y développe la concurrence, par la concurrence le progrès, et, en définitive, le bon marché du produit fabriqué ; tandis que, dans une branche de travail qui souffre, il se crée, sur les ruines de la masse, quelques monopoles de fait dont l’acheteur doit subir la loi. À mesure que la marchandise arrive, le service de la réception en prend charge et procède à une vérification sommaire du poids et de la quantité : 6 500 000 kilog. représentant 87 000 colis, venant de province ou de l’étranger, passent chaque année sur la « glissoire » du Bon Marché, sans parler des livraisons de Paris. Des délégués de chaque rayon s’assurent de la qualité des objets, en font monter une partie au magasin, et logent le reste dans des « réserves » que chaque comptoir possède au sous-sol.
Il faut alors décider la « marque », le prix de vente. Rien n’est plus faux que de représenter le grand magasin comme pouvant à son gré, soit l’abaisser pour ruiner ses concurrens, soit l’exagérer pour grossir ses bénéfices. Toutes ces maisons de nouveautés faisant de nombreuses annonces, le public féminin, qui forme les gros bataillons de leur clientèle, compare sans cesse leurs catalogues les uns aux autres ; aucune d’elles ne pourrait majorer une marchandise, sans en voir cesser aussitôt le débit. Bien mieux ; poursuivant à l’envi les uns des autres la dernière limite des concessions à faire, les chefs de comptoir sont exactement au courant du prix de vente de leurs spécialités dans chacun