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des chemins de fer de banlieue le dimanche. La nécessité de réduire au minimum les frais généraux le veut ainsi. Pour ne pas manquer de ventes, faute d’employés, à certains momens de presse qui ne dépassent pas un total de 50 heures par année, on devrait s’imposer un surcroît de dépenses, par une augmentation du personnel, qui dépasserait de beaucoup le supplément de bénéfices. Aussi quoique la durée du travail ait diminué, que les grands magasins soient fermés plus tôt que jadis, — en 1867, au Bon Marché, pendant l’Exposition, on marquait et l’on manipulait les marchandises de 9 heures du soir à 1 heure du matin, — quoique le repos du dimanche y soit strictement respecté et que des congés soient accordés en été, la réduction des heures de présence n’empêche pas le travail d’être beaucoup plus intense dans les grandes maisons que dans les petites.

L’existence du petit marchand dans sa boutique est plus douce. Debout sur le seuil de sa porte, ou béatement assis derrière son comptoir, il attend les cliens sans tracas, cause longuement avec ceux qui se présentent et, si son gain est médiocre, sa peine l’est encore davantage. Son commis ou sa « demoiselle » participe à cet heureux far-niente. Tout autre est l’allure de l’employé de nouveautés, sans cesse en haleine, toujours vendant, toujours remuant ; là, du petit au grand, chacun est rivé à son poste. Le métier est pénible ; — « aussi, me disait l’un d’eux, nous avons tous un peu des mines de papier mâché » — ; mais le profit est en rapport avec l’activité qu’il demande, et il y aura toujours des natures indolentes qui préféreront un moindre salaire pour un moindre travail.

On s’est apitoyé sur le sort des vendeuses auxquelles, a-t-on dit, il est défendu dans les grands magasins de s’asseoir jamais. Ce dernier trait est une pure légende, et tout au contraire, dans tous les comptoirs, il y a nombre de travaux que les employées ne peuvent faire qu’assises. Mais on oublie d’ajouter que nulle part le travail des femmes n’est aussi bien payé que dans ces usines commerciales, où leurs appointemens ne diffèrent pour ainsi dire pas de ceux des hommes. Le Louvre et le Bon Marché emploient environ 500 femmes, — le nombre décroit plutôt qu’il n’augmente. — La moitié à peu près sont mariées et le quart sont logées par l’administration, dans de vastes immeubles où elles ont une chambre, meublée, balayée et entretenue de linge gratuitement. Elles y jouissent, en commun, d’un confortable salon où elles organisent entre elles de petites fêtes ; mais la discipline est si sévère qu’elles n’y peuvent introduire aucun visiteur du sexe fort, pas même leur frère, si elles en ont, parce