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des scènes qui se produisent au moment de la semaine sainte et diminuent le regret qu’on a de n’avoir pu y assister. Les fêtes catholiques étaient déjà passées quand nous sommes arrivés en Palestine, et la Pâque grecque ne devait tomber, cette année, que cinq semaines plus tard, le 29 avril. Nous ne pouvions l’attendre à Jérusalem. Mais, si nous avons manqué ce spectacle, nous avons vu, au Caire, les derniers jours du mois de ramadan, et nous sommes arrivés à Jérusalem pour la célébration du Baïram, qui termine le jeûne du ramadan. Nous avons ainsi assisté successivement, au Caire et à Jérusalem, aux deux principaux momens de la grande fête religieuse des musulmans. La présence de mon frère, M. Théodore Berger, auquel je dois d’avoir fait ce voyage, l’un des plus beaux souvenirs de ma vie, sa profonde connaissance de l’Orient, et la situation dont il jouit dans le monde ottoman, m’ont permis d’assister à des scènes auxquelles on n’assiste guère d’habitude, et de voir de près certains côtés peu connus de la vie orientale, qui ne manqueront peut-être pas de quelque attrait de nouveauté[1].


Le Caire, dimanche soir, 1er  avril. — Je viens de passer la soirée la plus étrange, la plus invraisemblable que j’aie peut-être jamais passée. Au milieu de la vie si brillante et si moderne de la ville européenne du Caire, au tournant d’une rue, en un instant, nous nous sommes trouvés transportés dans un monde absolument différent, qui nous ignore et que nous côtoyons sans presque nous douter de son existence. Nous avons eu la sensation, que nous avons retrouvée depuis à deux ou trois reprises, du pays des Mille et une Nuits. Il y a là tout un peuple qui vit et qui pense autrement que nous. On les coudoie le jour, dans les rues, on les heurte, on se rencontre avec eux dans leurs bazars, on leur achète quelques curiosités ; quelquefois, sans doute, on est étonné de voir que leur manière de raisonner ne ressemble en rien à la nôtre, mais on se retire en croyant les connaître, et en se figurant que rien ne se cache sous l’impassibilité de ces traits qui masquent une âme qui ne se donne pas. Le soir, tous ces feux que l’on croyait éteints se rallument, l’Arabe se réveille, et la vraie vie de l’Orient commence.

  1. Je me suis borné à transcrire presque textuellement, dans les pages qui suivent, les notes recueillies jour par jour au cours de ce voyage. Ceux qui sont familiarisés avec la vie de ces pays voudront bien me pardonner mon enthousiasme, et aussi mes étonnemens en présence des choses qui leur paraîtront sans doute fort naturelles. La première rencontre avec l’Orient produit des impressions d’une vivacité extraordinaire ; et, à moins d’y séjourner longtemps et de pouvoir l’étudier à fond, peut-être cette première vue a-t-elle une fraîcheur et une vérité de couleurs qu’on ne retrouverait plus ensuite.