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fabrication mal conduite. Un fumier éparpillé sans soins dans la cour de ferme, lavé par la pluie pendant l’hiver, desséché par le soleil pendant l’été, perd tous ses principes utiles. Cette désolante incurie est fréquente : les prescriptions, les conseils des agronomes glissent sur l’indifférence des paysans ; depuis le vieux Caton jusqu’à nos jours, on a répété à satiété, sur tous les tons, que le succès d’une exploitation est étroitement lié à la bonne administration du fumier. Paroles inutiles ! Peines perdues ! il suffit d’entrer dans une des fermes du Centre pour reconnaître qu’on fait aussi mal aujourd’hui que du temps des Romains.

Cette négligence est d’autant plus regrettable que, bien préparé, le fumier est un engrais d’une grande valeur. Outre les sels ammoniacaux, les matières azotées englobées dans l’humus, il renferme en effet toutes les matières minérales nécessaires au développement des végétaux, de l’acide phosphorique, de la potasse, de la chaux dont il est facile de trouver l’origine.

Ces matières minérales proviennent des alimens distribués au bétail ; dans les grains notamment, l’acide phosphorique abonde on le décèle aisément dans les cendres du foin, et quand les étables et les bergeries sont peuplées d’animaux adultes dont le squelette n’augmente plus, presque tout l’acide phosphorique ingéré avec les alimens se retrouve dans le fumier. Il n’est pas de plantes qui ne renferment de potasse ; pendant longtemps, elle a été exclusivement extraite des cendres végétales, où elle se trouve à l’état de carbonate ; les acides oxalique, malique, tartrique, citrique, auxquels elle est unie dans les plantes, sont détruits pendant les combustions vives ; ils le sont également par les combustions lentes dans l’organisme animal et c’est à l’état de bicarbonate que la potasse se trouve dans les urines des herbivores ; la chaux provenant des eaux distribuées comme boisson, ou des alimens eux-mêmes formant facilement des composés insolubles passe surtout dans les déjections solides.

Le fumier est donc habituellement un engrais complet ; et on conçoit que pendant des siècles il ait été employé comme matière fertilisante, qu’aujourd’hui même il forme la base de presque toutes les fumures. Il présente, en effet, deux qualités précieuses : par les sels ammoniacaux qu’il renferme, il exerce l’année même de son épandage une action marquée ; par son azote engagé dans des combinaisons complexes lentement attaquables, cette action se continue pendant de longues années.

J’ai déjà indiqué ici même[1] quelle suite de métamorphoses subit l’azote d’une matière organique pour acquérir la forme

  1. Voir la Revue du 15 mai 1893.