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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 juillet.


Lorsqu’on écrira l’histoire de la troisième République, il faudra bien reconnaître qu’à travers les circonstances les plus diverses la transmission des pouvoirs présidentiels s’y est faite avec autant de correction que de facilité. Nous ne savons pas ce que l’avenir réserve, et il serait téméraire sans doute de conclure de quelques exemples à une règle éternelle. Si l’échéance du mandat présidentiel s’était produite, à de certains momens qui ne sont pas encore assez éloignés pour que nous en ayons perdu la mémoire, les choses ne se seraient peut-être point passées dans des conditions aussi satisfaisantes, ni aussi tranquilles. Il n’en est pas moins vrai que le fait accompli, répété, renouvelé, constitue déjà un commencement de tradition qui est de nature à rassurer sur la valeur de l’institution elle-même. M. Carnot a succombé à une fin tragique ; M. Casimir-Perier l’a remplacé. Il n’y a pas encore trois semaines que le coup de poignard de Caserio a ouvert chez nous une crise dont le pessimisme pouvait tout craindre ; la crise a été terminée en quatre ou cinq jours, et, depuis lors, nos affaires ont repris et suivi leur cours ordinaire sans interruption apparente. L’étranger qui aurait quitté Paris, il y a un mois, et qui y reviendrait aujourd’hui n’y remarquerait aucun changement. Il trouverait seulement l’opinion publique plus en éveil, à la suite d’une secousse violente, qui a ouvert les yeux sur le danger de certaines faiblesses et sur la nécessité d’une plus grande énergie.

Les obsèques de M. le Président Carnot ont eu lieu le 1er juillet. Le spectacle a été grandiose et partout égal à lui-même. Sur aucun point du parcours considérable où le cortège s’est déployé, le moindre incident fâcheux n’est survenu. Là encore, les esprits chagrins n’avaient pas manqué de donner carrière aux plus sombres pressentimens, et il est certain que, lorsque toute la population de Paris se trouve entassée dans la rue, aux fenêtres, sur les balcons et sur les toits, il est impossible de garantir que l’ordre et les convenances seront partout observés. Ils l’ont été. Paris a montré une fois de plus le respect qu’il a pour la mort. Mais, sans parler de ce sentiment qui devient un peu banal chez nous à force d’être universel, il y avait dans la foule immense une pitié