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son originalité. Ses idées, comme sa manière d’exécuter, ont pu changer avec l’âge ; mais ces changemens, au lieu d’être brusques et tranchés, se sont opérés par degrés insensibles. Il nous paraît donc difficile de dire où commence et où finit chacune de ces prétendues manières. Sans doute, avec le temps, il a gagné plus d’ampleur et, avec des moyens plus simples, il a obtenu des effets plus puissans. Mais ce n’est là qu’une de ces évolutions logiques qu’on peut observer chez presque tous les grands artistes. Mieux que la plupart d’entre eux, au contraire, Velazquez est resté fidèle au programme qu’il s’était tracé. De bonne heure en possession d’une technique et d’une méthode excellentes, il a cherché jusqu’au bout à les perfectionner.

Bien plus que l’étude des œuvres de ses prédécesseurs, la situation officielle de Velazquez a pu influer sur le développement de son talent. L’artiste, on ne l’a pas assez remarqué, n’avait pas de public. Il ne travaillait que pour le roi ; c’est au roi seul qu’il devait plaire et il faut admirer qu’ayant ce seul juge, il ait toujours progressé, cherchant avant tout à se satisfaire lui-même. À la longue cependant les conditions mêmes de sa charge devaient agir sur la nature de ses productions. Comme peintre du roi, le portrait constituait, à vrai dire, sa principale occupation ; mais il lui fallait compter avec la vie oisive et toujours tiraillée de Philippe IV. Les courtes séances que celui-ci lui accordait étaient prises à la dérobée sur des journées très disputées, entre un conseil ou une réception, une partie de chasse ou une cérémonie religieuse. De là pour Velazquez la nécessité de faire vite. Ce travail sous l’œil d’un maître impatient impliquait aussi l’obligation de pouvoir, à tout moment, lui montrer un résultat présentable, agréable même s’il se pouvait. Quelle qu’eût été leur facilité, peu d’artistes se seraient accommodés de ces hâtes et de cette gêne auxquelles le peintre se prêtait de bonne grâce. Il savait sur l’heure se rendre compte de ce qu’on attendait de lui et dans le peu d’instans dont il disposait il était prompt à démêler les traits caractéristiques d’un visage et à les reproduire. Les états très divers d’achèvement où il lui a fallu abandonner ses œuvres nous permettent de saisir en quelque sorte sur le vif sa façon de procéder, d’admirer l’étonnante pénétration de son regard, la justesse et la docilité de sa main. Composition, dessin et couleur, tout y paraît mené d’ensemble. En quelques touches, les constructions se dessinent irréprochables dans leur aplomb et les ressemblances s’accusent, criant, même de loin, le nom de leurs modèles. Toutes choses étant ainsi établies, le travail poussé plus en avant, loin d’amoindrir cette impression première, ne fera que la confirmer. Ce n’est pas,