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À PROPOS
D’ALLIANCE RUSSE[1]

On ne saurait se plaindre que l’alliance de la Russie et de la France soit stérile. Elle nous vaut un livre de Tolstoï. En voici le début :

« Parce qu’il y a deux ans une escadre française vint à Cronstadt et que ses officiers, descendus à terre, burent et mangèrent beaucoup, tout en écoutant et en prononçant des paroles mensongères et sottes, et parce que, en 1893, une escadre russe à son tour se présente à Toulon, et que ses officiers, venus à Paris, burent et mangèrent beaucoup, tout en écoutant et en prononçant des paroles encore plus mensongères et sottes, pour cette double raison voici ce qui arrive : non seulement les gens qui avaient bu, mangé et discouru, mais encore tous ceux qui avaient été présens à ces fêtes, tous ceux même qui n’y avaient pas été, mais en avaient entendu parler, ou en avaient lu des comptes rendus, des millions de Russes et de Français, en un mot, se prirent à penser tout à coup qu’ils s’aimaient d’une affection toute particulière, que tous les Russes adoraient tous les Français et que tous les Français adoraient tous les Russes. »

La « sottise » est la duperie de ces manifestations ; car les Français sont indifférons aux Russes, comme les Russes aux Français. Le « mensonge » est la promesse de paix faite au monde durant ces fêtes, car elles préparent la guerre : Tolstoï, par une belle expression, y sent et y dénonce « je ne sais quel amour qui hait ».

  1. L’esprit chrétien et le patriotisme, par le comte Léon Tolstoï. 1 vol. in-12, Perrin.