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Le 1er vendémiaire, Le Clerc et Le Page, à bout d’expédiens, cèdent le bail à Sageret, ancien banquier à Rome, homme d’initiative, intelligent, mais incapable de contenir son imagination dans des limites raisonnables, toujours prêt à chevaucher un projet pour peu que l’idée lui semble ingénieuse. Il a déjà sur les bras le théâtre Feydeau, le théâtre de la République ; et le Directoire lui a promis 360 000 livres s’il opère la réunion des comédiens français. Sageret engage une foule d’artistes, décide qu’ils serviront en même temps la salle de la rue Richelieu et celle de la rue de Vaugirard : deux recettes chaque soir, point de non-valeurs, doubles débouchés pour les auteurs, pour les acteurs, spectacles plus variés, n’est-ce pas la combinaison idéale ? L’Odéon, par exemple, sera organisé de la manière suivante : Jours pairs : les matinées, leçons de l’Ecole dramatique (celle-ci n’exista jamais que sur le papier) ; les soirs : Duodi, opéra-comique du théâtre Feydeau ; — Quartidi, comédiens du théâtre de la République ; — Sextidi, concerts d’hiver ; — Octidi, comédiens du théâtre Feydeau ; — Décadi, tragédiens du théâtre de la République. Les jours impairs sont consacrés aux fêtes nationales, banquets civiques et distributions des prix du Conservatoire. L’Odéon donne alors la Vengeance, Brutus, Geneviève de Brabant, Briséis, le Voyage interrompit de Picard, critique assez gaie des romans et drames de l’époque… Misanthropie et Repentir, traduit de Kotzebue, arrangé par Mme Julie Molé, qui eut un succès de larmes.


On pleure en lisant les affiches, On pleure en lisant les billets.


La mode s’établit d’aller pleurer à l’Odéon ; Kotzebue eut de nombreux imitateurs, copies détestables d’un médiocre original ; et son drame, dit-on, empêcha autant de mariages qu’il produisit de divorces.

Mais Sageret avait entrepris la lutte contre l’impossible : les comédiens enrageaient de jouer dans les deux salles, d’être traités en nomades, en bohémiens ; on le comparait à ce prince allemand qui, voyant que les droits d’entrée constituaient le plus clair de son budget, crut faire un coup de maître en perçant de nouvelles portes aux murs de sa capitale. Une troupe d’opéra-comique, deux troupes de comédie, la taxe des pauvres (le décret de deux sous), des premiers sujets payés fort cher, — Contat 30 000 francs, Molé 24000, — l’emprunt de demain servant à