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à l’aide de mystérieuses recettes les produits de la vigne, c’est parce que la clientèle aimait, réclamait ces fruits du coupage, du vinage et du mouillage. La clientèle se résigne à ces vins parce qu’on a organisé la vente de telle façon que jamais on ne lui livre des vins non cuisinés. Il y aussi la terrible force de l’habitude. Tel buveur qui s’est habitué à un mauvais vin le trouvera meilleur qu’un autre qui serait naturel et de qualité vraiment supérieure, mais qui n’est pas celui qu’il a accoutumé de boire. Pour que l’habitant des villes, le consommateur parisien surtout, reprenne goût aux vins naturels, — et il y a au moins cette idée juste et saine dans la campagne menée depuis cinq mois par les viticulteurs, — il faut qu’on rouvre aux vins naturels l’accès de Paris et des grandes villes.

Ce résultat ne peut être obtenu que par la réforme du régime des boissons, le dégrèvement des boissons hygiéniques, et la suppression des droits d’octroi en ce qui les concerne. Depuis dix ans cette suppression est promise, mais, de telles promesses, combien en emporte le vent ? M. Burdeau avait déposé un projet dont l’adoption eût dégrevé le vin, le cidre et la bière de 75 millions de droits dûs à l’État et de 67 millions dus aux villes. M. Burdeau a quitté le ministère, et le successeur abandonne le projet de son prédécesseur. Pendant ce temps, la crise viticole suit son cours et la commission des douanes cherche des palliatifs. On a obtenu des compagnies de chemins de fer des réductions de frais de transport et l’on proscrit le mouillage, mais une autre cause d’inquiétude a surgi. Une forte partie de la dernière récolte est défectueuse, ce qui est une des causes les plus simples et les plus fortes de la mévente. Que faire de ce stock invendable ? On pourrait le brûler pour en tirer de l’alcool. Or les distillateurs font de l’alcool à plus bas prix en important des mélasses étrangères. Aussitôt la commission des douanes de mettre à l’étude l’élévation du droit sur les mélasses étrangères (non coloniales). Ce sera toujours un peu de protection pour les distillateurs de vins et de betteraves.

Il faudra en venir à l’unique remède efficace, à celle de toutes les mesures présentées et discutées qui peut seule sauver la viticulture, c’est-à-dire à la suppression ou du moins à une forte diminution des droits d’entrée et d’octroi. Alors seulement seront sérieusement combattues les fabrications et pratiques funestes à l’hygiène publique, et les vins naturels seront connus et appréciés par la population des villes. La réforme est difficile, soit. Elle a été jusqu’ici arrêtée par les embarras budgétaires. Elle est nécessaire pourtant ; elle se résoudra par l’adoption de taxes de