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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/732

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C’est bien là, en effet, le sentiment qu’exprimait déjà sans détour, à Aix-la-Chapelle, l’envoyé de Marie-Thérèse offrant au plénipotentiaire français de remplacer, dans l’amitié de sa maîtresse, l’Angleterre qui avait trompé sa confiance. C’est aussi celui dont Frédéric faisait confidence au ministre anglais dans un entretien que j’ai rapporté et où il se déclarait pressé de rompre le lien qui le rattachait encore à la France, pour se rapprocher de la nation de foi protestante et de sang germanique vers laquelle le portaient naturellement la communauté de la religion et l’affinité de la race. Une double évolution était donc commencée sur deux lignes qui se croisaient, et le moment pouvait déjà être prévu où, Vienne se rapprochant de Versailles en même temps que Berlin de Londres, un échange complet de situation serait opéré entre amis et ennemis d’hier. C’est ce mouvement dont la paix de 1748 a marqué le point de départ et dont le traité de 1756 fixera le point d’arrivée. Entre ces deux dates huit années s’écoulent pendant lesquelles, toutes les puissances d’Europe étant condamnées à un repos momentané par l’épuisement de leurs forces et la lassitude des populations, leurs rapports ne donnent lieu à aucun événement important dont le souvenir mérite d’être conservé. Un tableau détaillé de ces jours de trêve, plutôt que de paix, offrirait donc peu d’intérêt, et imposerait à l’écrivain une tâche aussi ingrate pour lui que pour son lecteur. Un petit nombre de faits seulement peut être mis utilement en lumière pour suivre, pendant cette période de transition, le travail préparatoire qui se poursuit dans les esprits, et rendre ainsi la transformation de la dernière heure aussi naturelle pour l’histoire qu’elle a paru surprenante aux spectateurs.

En tout cas, si le changement de l’ancien système fédératif de l’Europe mit quelque temps à s’accomplir, ce ne fut pas la faute de l’Autriche. Dès le lendemain de la paix conclue, Marie-Thérèse était à l’œuvre. Le 7 mars 1749, un rescrit de sa propre main était adressé aux grands dignitaires de sa cour qu’on appelait les ministres de la conférence, auxquels elle ne s’adressait que dans des cas extrêmes. L’impératrice leur enjoignait de lui remettre une note par écrit, touchant le système qu’il convenait d’adopter à l’égard de la France, en raison des conditions de la paix et en vue des troubles qui pourraient s’élever par la suite[1]. Elle ne donnait à chacun que quinze jours pour lui faire réponse. C’était beaucoup presser de graves personnages dont la plupart étaient hors d’âge, quelques-uns tout à fait incapables, et presque tous

  1. D’Arneth, t. IV, p. 262-318.