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ton brusque, l’oreille dure et quelquefois le langage peu clair[1].

Hautefort fut étonné lui-même, mais charmé de ce ton d’intimité. « J’ose, disait-il au ministre, vous prier de faire attention que l’impératrice se jette, pour ainsi dire, à la tête de Sa Majesté. Elle est femme, pleine d’esprit et de sentiment. Vous êtes plus capable que moi de comprendre le danger qu’il y a de la rebuter jusqu’à un certain point et de l’attacher par là plus étroitement à l’Angleterre. »

Hautefort avait raison de croire que, si l’impératrice, repoussée par la France, se retournait vers l’Angleterre, elle y trouverait un bon accueil, car à Londres on ne tarda pas à être avisé de l’attitude qu’elle prenait et de l’urgence de faire un effort sérieux pour l’empêcher de s’avancer davantage dans la voie qui l’éloignait de ses anciens amis. Ce fut le ministre anglais Keith qui, pouvant mettre chaque jour en contraste le froid accueil qui lui était fait et les politesses dont son collègue de France était comblé, donna assez tristement l’alarme. Le pauvre diplomate exprimait, dans une lettre confidentielle, l’embarras qu’il éprouvait entre l’empereur et l’impératrice, qui, au fond, on le voyait bien, n’étaient pas d’accord, mais dont il n’eût pas été prudent de paraître remarquer la dissidence. « L’empereur, disait-il, est un excellent homme, mais il n’a pas tout le poids qu’il devrait avoir, et comme il le sent, il ne se soucie pas de rien prendre sur lui, car bien que l’impératrice se fâche, si on pouvait faire quoi que ce soit qui ait l’air de négliger l’empereur, elle se montre pourtant jalouse, si on a l’air de lui faire trop la cour, de sorte qu’entre ces deux extrêmes, il est difficile de toucher juste. Quant à l’impératrice, elle a certainement de grandes qualités, mais ses ministres en l’environnant, en tenant tout le monde à distance, ont, au dire de ceux qui la connaissent personnellement, changé son humeur qui est devenue très susceptible avec une légère teinte de maussaderie (with a little mixture of peevishness). »

Cette altération d’humeur que Keith se plaisait à attribuer à des causes générales pour ne pas convenir qu’il fût seul à en souffrir, dut être visible à Londres même, quand, au lieu d’un ministre autrichien qui était resté pendant toute la guerre en intimité avec le cabinet britannique, un nouvel envoyé arriva, le comte de Richecour, porteur d’instructions qui lui ordonnaient, au contraire, de maintenir avec soin une ligne d’extrême réserve. On lui recommandait d’éviter tout ce qui pourrait conduire, directement ou indirectement, à une rupture de la paix, de ne donner

  1. D’Hautefort au roi et à Puisieulx, 21 et 24 octobre, 3 décembre 1749 (Correspondance d’Autriche : ministère des Affaires étrangères).