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de se tenir en mai dernier, à Chicago, a abouti à la fondation d’une société qui groupera les élémens libéraux des Églises unitaire, universaliste et israélite.

Voilà pour les résultats pratiques, prochains, du premier congrès des religions ; et ces fruits, d’année en année, se multiplieront. Mais, combien plus considérables ont été les effets moraux ! D’abord, en notre fin de siècle, où les pessimistes et les matérialistes s’en vont partout annonçant la mort de toute croyance, la ruine de toutes les églises, ce Parlement de Chicago a été un signe éclatant de la vitalité du sentiment religieux. Si les rites et les formules varient et passent, la religion est éternelle. Et ici nous sommes heureux d’apporter le témoignage d’un des rares Français qui aient assisté au congrès, d’un écrivain qui, par la sagacité psychologique dont il a fait preuve dans ses romans, est bon juge en la matière :

« Les congrès tenus à Chicago pendant les six derniers mois, dit M. Paul Bourget, nous montrent que la démocratie américaine souffre de la nostalgie de l’idéal. Quelle soif de connaissances, quel respect pour tout ce qui constitue le trésor moral et spirituel de l’humanité trahit le programme général de ces congrès ! Et ce parlement des religions, tenu dans la capitale même du monde positif et industriel, quelle preuve de la vigueur du christianisme il dénote en face des triomphes de la science ! Sans doute les résultats n’ont pas été adéquats à la grandeur de l’effort ; mais il restera le chef-d’œuvre de cette exposition. Pour emprunter les paroles du poète, il a été l’aiguille du cadran, qui, au sommet du clocher d’une haute cathédrale, montre le ciel. Pour moi, assis dans l’amphithéâtre de ce parlement, en voyant autour de moi ces milliers de visages attentifs, visages d’ouvriers et de commerçans, j’entendais s’éveiller en moi une voix qui me criait avec assurance, en dépit de la crise morale et intellectuelle que nous traversons : Non ! l’âme humaine n’a pas à craindre pour ses joyaux les plus précieux[1] ! »

Mais ce congrès nous a apporté une seconde preuve que la religion est bien vivante au sein de l’humanité. En effet, si les religions étaient en train de finir, comment expliquer ces changemens, ces ramifications, ces évolutions, que plusieurs d’entre elles nous ont présentés ? Ne sont-ce pas là, au contraire, des symptômes de vigueur et de fécondité ? D’ailleurs, ce qui est remarquable, c’est que l’évolution de ces vieilles religions de l’Asie tend au monothéisme, à la monogamie et à une morale voisine de la morale chrétienne. « Leurs adeptes, comme l’a dit M. le

  1. Cosmopolitan (Numéro de décembre 1893).