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I

La ville de Thamugadi[1], qu’on appelle aujourd’hui Timgad, est située dans l’ancienne province de Numidie, sur les dernières pentes de l’Aurès. Elle occupe le centre d’un plateau qui, du côté du nord, s’abaisse peu à peu vers la plaine. Il faut, pour y arriver, suivre d’abord la route qui va de Batna a Tébessa. Après avoir l’ait une trentaine de kilomètres, on quitte le grand chemin pour s’engager dans un sentier, ou, comme on dit, dans une piste arabe, qui court bravement à travers champs, et où l’on se heurte à chaque pas aux pierres et aux racines. Quand on a franchi un oued desséché et remonté péniblement la berge, la vieille ville apparaît. C’est un amas pittoresque de murailles et de colonnes qui, au milieu de cette désolation, cause d’abord une très vive surprise ; on prend alors une voie romaine bien conservée, et, à mesure qu’on avance, les ruines des deux côtés augmentent. On arrive enfin devant un arc de triomphe qu’entourent des restes de constructions antiques, et l’on est au cœur de la cité.

Cet arc de triomphe est l’un des plus élégans qui existent en Afrique, où ils sont en si grand nombre. Quoiqu’on l’ait un peu alourdi pour le consolider, il produit un très bel effet. Comme celui de Septime Sévère à Rome, il contient trois portes, celle du milieu pour les chars et les cavaliers, les deux autres pour les piétons. La façade est ornée de quatre colonnes de marbre qui portent des chapiteaux corinthiens ; dans l’intervalle deux niches, encadrées de colonnes plus petites, contenaient des statues, sans doute les images des princes de la famille impériale : on va les trouver partout à Timgad. Ce qui est original et rare, dans les monumens de ce genre, c’est que chacune des deux ailes, au-dessus des niches, est surmontée de frontons circulaires qui tranchent avec la ligne droite du centre. Rien n’est plus gracieux que cette disposition.

Au pied de l’arc de triomphe on a recueilli une inscription tombée du faîte ; elle était destinée à raconter en quelques mots, dans cette langue si simple, et si grande, que les Romains ont parlée mieux qu’aucun autre peuple, comment la ville avait pris naissance. On y lit « que l’empereur Trajan Auguste le Germanique, fils du divin Nerva, grand Pontife, Père de la patrie, quand il était pour la troisième fois consul, et revêtu, pour la quatrième, de la puissance tribunitienne, a fondé la colonie de

  1. On a prouvé que tel est bien le nom de l’ancienne ville et qu’elle ne s’appelait pas Thamugas, comme on l’avait cru. Les désinences de ce genre ne sont pas rares dans les noms des villes berbères.