Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/838

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui estime des distractions des petites villes ; et, pour qu’ils fussent plus à l’aise, un portique, dont les colonnes ont été retrouvées et relevées, les mettait à l’abri du soleil. Le long de la rue, deux fontaines, de forme assez élégante, sont restées en place. Les gens de passage y faisaient boire leurs chevaux, et les femmes de Thamugadi venaient y emplir leurs urnes. Elles ont dû beaucoup servir, car la margelle en est fort usée[1]. À ce propos je ferai remarquer que l’eau est ce qui manque le plus à Timgad aujourd’hui. Les quelques indigènes qui habitent sous la tente à côté des ruines de la ville antique sont obligés de l’aller chercher très loin. Les voyageurs ont grand’peine à s’en procurer pour tremper ce petit vin clairet que fournissent les tribus voisines. Autrefois elle coulait en abondance, on l’avait été prendre dans la montagne, et des canaux qui subsistent encore la conduisaient dans des rues. L’un de ces canaux, qui descendait du Forum le long d’un escalier, s’étant crevé dans les bas temps, à une époque où la municipalité n’était plus assez riche pour le réparer, on s’est borné à creuser, à côté, une entaille où l’eau pouvait couler sans envahir le reste des marches. Elle a continué très longtemps à suivre le lit provisoire qu’on lui avait fait, si bien qu’elle a fini par y déposer un sédiment considérable, comme on en trouve au Pont du Gard, dans les canaux de la Fontaine d’Eure.

Vers le milieu de la rue, on distingue les restes d’une porte monumentale, dont les montans étaient formés par deux belles colonnes, avec des chapiteaux corinthiens. C’était l’entrée principale du Forum. Quand on a passé sous la porte, et gravi un large escalier de dix marches, on débouche sur la place. Avant de l’étudier en détail, plaçons-nous au centre, pour en mieux juger l’ensemble.

Le Forum paraît d’abord très petit. C’est la première impression qu’on éprouve lorsque du milieu on jette les yeux autour de soi. Mais il ne faut pas oublier que les anciens n’avaient pas le même goût que nous pour ces vastes étendues où le regard se perd, et que, par exemple, la place de la Concorde, qui fait notre admiration, leur aurait paru ridicule. D’ailleurs Timgad était une petite ville, et Vitruve dit formellement que le Forum doit

  1. Là aussi se trouve une salle carrée et assez grande, dont la destination est très facile à reconnaître. C’étaient des latrines publiques ; une large fontaine pour les ablutions nécessaires occupe l’un des côtés de la salle. Les trois autres étaient garnis de vingt-cinq sièges, dont l’un fut retrouvé en place. Chaque siège était séparé des voisins par un dauphin sculpté, où le bras pouvait s’appuyer. L’eau coulait dans des rigoles qui maintenaient la propreté et entraînaient tout à l’égout. M. Milvoy prétend « que l’aménagement de cette salle est d’un confortable qui n’a pas été dépassé de nos jours. »