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Wallace en possède une réduction mieux conservée, avec de légères variantes, — nous offre à la fois une image fidèle de la Chasse à la toile et comme un tableau résumé de l’Espagne, des costumes et des types les mieux caractérisés de toutes les classes de la population à cette époque.

La scène, s’étalant en largeur, est disposée avec autant de goût que d’habileté. Cette fois, l’enceinte circulaire circonscrite par les toiles a été installée dans un paysage d’un aspect austère : une sorte de plaine inculte, avec des ondulations dominées elles-mêmes par un coteau escarpé dans les replis duquel croissent des buissons noirâtres, des genêts et quelques chênes rabougris. Une herbe maigre et rare laisse à découvert, par places, la blancheur éclatante du sable. Plusieurs sangliers réunis dans l’enceinte sont poursuivis ou attaqués par des cavaliers munis de lances, et près du duc d’Olivarès, facilement reconnaissable, le roi, monté sur un cheval bai, reçoit le choc d’un de ces animaux avec un épieu garni d’un croissant d’acier. Au-dessus des toiles, à droite, on aperçoit le haut de quatre carrosses de la cour où sont assises des dames conviées à la fête, et dans l’un d’eux la reine Isabelle. Des gardes avec des hallebardes se tiennent à portée pour les protéger au besoin. Au dehors, la foule bigarrée des curieux se presse, au premier plan, sur un tertre. Partout l’animation et le pêle-mêle d’une assistance nombreuse, accourue pour jouir d’un plaisir qui lui rappelle son divertissement national, ces cruels combats de taureaux qui, en dépit de l’adoucissement général des mœurs, ont persisté jusqu’à nos jours. Ici des cavaliers au repos ; là des gamins montés sur les arbres pour mieux voir ; plus loin, des valets ayant en laisse des chevaux, des mulets et de gros chiens de chasse. Parmi les spectateurs, des mendians circulent affairés, aux aguets ; l’un d’eux, près d’un de ses compagnons étendu à ses pieds, boit à même dans une gourde. À côté, un groupe de deux seigneurs très élégamment vêtus, l’un costumé de rouge, avec une collerette blanche, un chapeau noir et des bottes molles ; l’autre le poing sur la hanche, portant un pourpoint rouge, un grand manteau gris, des manches et des culottes blanches et une plume blanche à son chapeau. Entre eux, comme pour faire mieux ressortir la richesse de leur accoutrement, un moine tout habillé de noir avec le grand chapeau traditionnel. Le haut de la toile est occupé par la bande étroite d’un ciel bleu foncé, avec des nuages gris et quelques lumières plus vives. La tonalité puissante, mais neutre, de ce ciel un peu lourd et de ce paysage rude et triste s’oppose ici aux colorations diaprées de 4ces nombreuses