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est absolument contraire à la vérité historique. Poussé par je ne sais quel sentiment de vulgaire flatterie, Leonardo, en effet, a représenté Spinola à cheval, recevant d’un air dédaigneux les clefs de la ville que lui apporte le comte Justin de Nassau, humblement prosterné dans la poussière, et pour fond un paysage quelconque, qui n’a rien à voir avec la Hollande. Ainsi qu’en témoigne, au contraire, un récit à peu près officiel publié peu de temps après la capitulation par un jésuite d’Anvers, le P. Hugo, les assiégés avaient obtenu les conditions les plus honorables et ils étaient sortis de la place, tambours battans, enseignes déployées[1]. Avec sa générosité naturelle, Spinola prodigua à son rival malheureux tous les témoignages de la courtoisie la plus exquise, saluant avec grâce ce vieillard aux cheveux blancs. À son exemple, suivant le même historiographe, les Espagnols montrèrent les mêmes égards aux vaincus. « Parmi les assaillans, dit le P. Hugo, aucune parole déplacée, mais des visages qui souriaient en silence. »

L’inexactitude commise par Leonardo dans sa composition était donc doublée d’une inconvenance toute gratuite, bien faite pour déplaire au roi et à tous ceux qui savaient comment les choses s’étaient passées. C’est à Velazquez que fut commis le soin de rétablir la vérité dans un autre tableau de dimensions pareilles et qui fut exposé à Buen-Retiro, à côté de celui de Leonardo. Chevaleresque comme il l’était, l’artiste accueillit avec bonheur cette occasion de rendre hommage à la mémoire de Spinola, qui, à la suite du siège de Casale, était tombé dans la disgrâce la plus injuste. Velazquez avait conservé un souvenir reconnaissant de la sympathie qu’il avait trouvée auprès du général pendant la traversée de Barcelone à Gênes, faite en sa compagnie lors de son premier voyage en Italie. Peut-être même avait-il à ce moment pris de sa personne un croquis auquel il put recourir, car dans les Lances la ressemblance de Spinola avec ses autres portraits connus est frappante. Avant de commencer son tableau, Velazquez s’était d’ailleurs entouré de tous les renseignemens qui pouvaient l’éclairer. Non seulement il avait mis à profit la vue topographique de Sneyers et le compte rendu détaillé du P. Hugo, mais il avait probablement recueilli à la cour les informations des témoins oculaires de l’important fait d’armes qu’il s’était chargé de représenter. Son œuvre est, en tout cas, d’une exactitude absolue.

On connaît cette belle composition dans laquelle, avec un

  1. Obsidio Bredana, par le P. Hugo. Anvers, 1629.