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peu de frais, de trouver sur une palette dont la pauvreté semblerait gênante aux plus habiles, ces tons rares, nacrés, nuancés et subtils ; d’obtenir avec cette sobriété de colorations une aussi merveilleuse richesse. Que d’autres sujets d’admiration encore dans cette lumière ni jaune, ni froide, toujours limpide et pure ; dans ce dessin, cherché non pas d’un trait sec, mais poursuivi avec une si exacte proportion des saillies, jusque dans les inflexions les plus délicates du relief ; dans le maniement de cette pâte abondante et généreuse, jamais surchargée ; dans cette exécution enfin, moelleuse ou précise, toujours animée, toujours intelligente, et qui subordonne toutes ses habiletés à l’expression de la vie et du caractère !

L’affabilité, le tact et la discrétion de Velazquez contribuaient autant que son talent à lui assurer une faveur croissante auprès du roi. Mais si les honneurs lui étaient venus peu à peu, ses appointemens n’avaient guère augmenté. Les embarras financiers de la cour d’Espagne s’aggravaient de jour en jour, et, bien que la solde du peintre fût assez modique, elle ne lui était payée que d’une façon très irrégulière. En 1634, il avait eu grand’peine à obtenir 1 000 ducats pour 18 tableaux qu’il avait livrés au roi. Cette même année, sa fille Francisca ayant épousé le peintre Juan-Bautista del Mazo, il avait cédé à son gendre le poste d’huissier du palais qu’il avait occupé jusque-là. Bientôt après, « se trouvant assez gêné, » ainsi qu’il le dit lui-même dans une supplique à Philippe IV, il réclamait 1500 réaux qui lui étaient dus pour sa charge, sans compter le prix des tableaux peints par lui. En 1640 un décret avait fixé ses honoraires à 500 ducats par an ; mais les paiemens se faisaient toujours attendre, et en 1648 les arriérés de sa solde se montaient à 3400 réaux, pour lesquels il avait fallu consentir avec le trésor une transaction par laquelle le roi élevait à 700 ducats son traitement, « afin qu’il pût suffire à son entretien », moyennant quoi le peintre donnait décharge des sommes qui lui étaient dues.

Sans s’inquiéter de cette détresse financière, Philippe IV, loin de restreindre ses dépenses, s’abandonnait à son goût pour les constructions ruineuses et à ses acquisitions incessantes d’objets d’art de toute sorte. Le palais de Madrid ayant été mis en état, il s’agissait de décorer les appartemens nouveaux qui y avaient été disposés, de les garnir de meubles de prix, de les orner de tableaux et de sculptures, notamment la grande salle octogone placée au-dessus de la porte principale de l’Alcazar. Le roi rêvait d’en faire quelque chose d’analogue à la Tribune de Florence, en y installant un choix des plus belles œuvres de ses