Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/895

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

2 millions d’âmes et une valeur imposable dépassant 2 milliards.

Il est vrai qu’il ajoute : « À beaucoup d’égards, ce gouvernement est mauvais et, chaque année, devient pire. Ce n’est pas le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple, mais le gouvernement de M. Richard Crocker par l’intermédiaire de Tammany-Hall, pour le profit de M. Richard Crocker d’abord, de Tammany-Hall ensuite, du peuple en dernière ligue. C’est un fait acquis que le despotisme règne à New-York et que le pouvoir y a changé de mains aussi complètement qu’en France, au VIIIe siècle, alors que les maires du palais se substituèrent aux souverains légitimes. »

Il existe un document qui éclaire d’un jour cru les coulisses de ce gouvernement incarné dans un homme. C’est le rapport, récemment publié, du comité de la réforme municipale ; il rend compte des antécédens, il établit le record des membres du Sénat et de l’Assemblée qui constituent la législature de l’État de New-York, inféodés à Tammany-Hall et obéissant à ses ordres. On y relève des monographies curieuses : « X…, y lisons-nous, est originaire de Cork, en Irlande. Il émigra, à l’âge de sept ans, avec sa famille, et suivit les cours de l’école gratuite. À vingt-quatre ans, on le retrouve, garçon de salle, dans un cabaret ; à trente, il tenait un saloon au numéro 142 de la rue Washington. Dénué d’instruction, sans scrupules et sans moralité, il n’en est pas moins le représentant élu, dans l’Assemblée, de l’important district dans lequel il réside. Il s’est fait une spécialité des strikes, terme d’argot parlementaire par lequel on désigne les projets de loi qui, atteignant une industrie prospère, ont uniquement pour but d’amener ceux qui en vivent à payer une somme déterminée à Tammany-Hall, auquel cas le projet est retiré. » C’est ainsi qu’il fit capituler une ligne importante de tramways, en proposant à l’Assemblée de réduire de cinq à trois cents le prix des places. La compagnie paya, et le bill fut enterré.

Un autre a été, à plusieurs reprises, dûment convaincu d’avoir trafiqué de son vote ; mais comme, en ce faisant, il opérait pour son propre compte et ne remettait à Tammany-Hall qu’une faible part de ses gains illicites, sa carrière de législateur a été de courte durée. Cassé aux gages, il n’a pas été réélu. En revanche, nous extrayons du même document la monographie suivante du législateur idéal, au point de vue de Tammany-Hall : « M. H… est né à New-York de parens irlandais. Il a fait d’assez bonnes études dans les écoles primaires, puis au collège de la ville. Maître d’école à son tour, il a suivi les cours de la faculté de droit, a obtenu son diplôme et ouvert un cabinet d’avocat consultant. C’est un honnête homme, intelligent et capable, mais