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schisteuses de la Mayenne ou de la Sarthe, où la chaux fait défaut.

Ce qui s’est passé dans ce même département de la Mayenne justifie un vieux dicton des paysans : « La chaux enrichit le père et ruine les enfans. » Il présente, en effet, un fond de vérité. Dans un sol dépourvu de calcaire, il faut sans cesse le répéter, la nitrification ne s’établit que très imparfaitement : les débris végétaux s’accumulent, les microbes fixateurs d’azote travaillent, et, comme la grande cause de mobilisation de l’azote, la nitrification, fait défaut, cet élément augmente peu à peu ; il abonde dans les vieilles prairies ; on y trouve, au lieu de 1 à 2 grammes d’azote combiné par kilogramme, taux habituel des bonnes terres arables, 5, 8, jusqu’à 10 grammes par kilogramme. Quand on chaule, le ferment nitrique auquel on a créé un milieu favorable commence son œuvre, la culture prospère, mais les nitrates formés surpassent les besoins des récoltes, ils sont entraînés pas les eaux souterraines, et la terre s’appauvrit. C’est l’histoire de la Mayenne : il y a quarante ans déjà, les cultivateurs de ce département se peignaient de l’épuisement de leur sol ; un directeur de ferme-école appelé devant une commission au ministère de l’Agriculture, disait en 1856 : « Quand on a employé la chaux sur des terrains acides, humides, chargés de débris végétaux, on en a obtenu des résultats admirables, et on a dit que la chaux était le meilleur des engrais. On s’est livré avec ardeur à la culture du trèfle et notamment de la graine : le trèfle couvrait le sol pendant dix-huit mois sur trois ans, on vendait la graine. La moitié des fortunes du pays venait de la graine de trèfle : aujourd’hui cette culture est perdue. »

Si nous avons réussi à faire bien saisir le rôle de la chaux, on conçoit qu’elle détermine la transformation de la matière organique inerte, insoluble, du sol, en substances solubles, assimilables, qu’en somme, en chaulant sans mettre d’engrais, on vit sur un capital accumulé pendant des siècles, on en jouit, mais on le dissipe. Il n’en est plus ainsi quand on fait alterner les chaulages avec de bonnes fumures de fumier de ferme.

La chaux exerce son action utile, non seulement dans les terrains granitiques ou schisteux, qui, provenant de la décomposition de roches dans lesquelles la chaux fait défaut, ne renferment même pas la petite proportion de calcaire nécessaire à l’existence des légumineuses, elle est employée aussi avec grand avantage sur les terres tourbeuses et sur les terres fortes, très riches en argile. J’en ai eu sous les yeux un exemple frappant. M. Porion, grand industriel du Nord, qui pendant plusieurs années m’avait demandé des conseils, possédait, à la limite du Nord et du