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considérables, dont la loyauté est connue ; aucune fraude n’est à craindre, puisque les intermédiaires ont disparu. Si même il reste quelques doutes, on prélève dans les magasins du syndicat les échantillons à analyser, et les dépenses qu’entraîne cette analyse, réparties entre de nombreux adhérens, deviennent insignifiantes pour chacun d’eux.

Grâce à cette série de sages mesures, le commerce des engrais s’est beaucoup étendu ; il a triplé depuis vingt ans ; la France consomme aujourd’hui plus de 200 000 tonnes de nitrate de soude, 30 000 tonnes de sulfate d’ammoniaque ; si on y joint les phosphates, les tourteaux, les engrais de potasse, on arrive à une somme totale de 120 millions de francs.


VI

Un effort considérable a donc été fait ; mais, tout de suite, on est frappé de la médiocrité des résultats obtenus. Comment se fait-il que les dépenses effectuées n’aient pas conduit à des rendemens suffisans pour assurer la rémunération du travail et qu’il faille sans cesse avoir recours à des remaniemens de douane pour élever artificiellement les prix ? Ces engrais n’ont donc pas toute l’efficacité qu’on leur avait attribuée ?

La question mérite qu’on s’y arrête, et tout d’abord il faut remarquer que les engrais de commerce ne sont employés que sur une faible fraction de notre territoire. La statistique de 1882 fixe à 26 millions d’hectares environ la surface des terres labourables de notre pays ; les 120 millions de francs consacrés à l’achat des engrais ne représentent pas 5 francs par hectare. Or une petite fumure aux engrais chimiques comprenant 150 kilos de nitrate de soude et 300 kilos de superphosphates vaut au moins 60 francs. Cette fumure ne s’applique donc qu’à 2 millions d’hectares, les 24 autres millions en sont privés. Si toutes nos terres labourables recevaient tous les deux ans cette fumure, ce ne serait pas 120 millions de francs qu’il faudrait dépenser chaque année, mais plus de 700 millions… Nous en sommes loin !

Le plus grand nombre de nos cultivateurs néglige encore les engrais du commerce : nos paysans économes et têtus ne se décident qu’à la longue ; ils y viendront, mais lentement, car si la grande armée agricole ignore les marches rapides, son mouvement est continu.

On ne saurait donc trouver un argument contre l’emploi des