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REVUE LITTÉRAIRE

LES LIVRES DE M. ÉDOUARD ROD

Il s’est fait, au cours de ces quinze dernières années, une brusque révolution dans notre littérature. Le naturalisme et le positivisme y sévissaient encore aux environs de 1880. On n’était attentif qu’à l’extérieur et aux choses plus qu’aux êtres. On ne tenait compte que des faits, sans chercher à en pénétrer le sens. On écartait les problèmes dont la solution n’est pas contenue dans les données de l’expérience. On ne voulait rien voir ou peut-être n’apercevait-on rien au-delà de l’immédiate réalité. Ce système étroit autant que factice ne pouvait s’imposer longtemps. Peu à peu on a vu rentrer dans la littérature tout ce qui en avait été indûment banni. On s’est remis à comprendre que les faits ne sont rien sans le support des idées qui les produisent et les expliquent, et dont ils ne sont que la réalisation incomplète. On a rétabli dans ses droits la vie intérieure qui seule peut donner à l’autre son prix. On s’est avisé que nous avons une âme. On s’est intéressé au jeu des phénomènes de conscience. On s’est repris à croire que notre activité intellectuelle a un but et qu’elle ne saurait se développer en dehors de certaines règles dont les formules changeantes composent la morale qui est de tous les temps. Même on s’est demandé si cette morale, pour avoir toute sa solidité, ne doit pas reposer sur quelque fondement surnaturel. C’est dire qu’en un court espace de temps on a fait précisément à rebours tout le chemin parcouru dans l’étape précédente. Ce travail qui s’est opéré dans les esprits et dont les hommes qui ont aujourd’hui dépassé la quarantaine ont été les utiles ouvriers, on pourrait le suivre à travers les livres de M. Édouard Rod. C’est un premier élément d’intérêt qu’ils nous offrent ; mais en outre ils valent par eux-mêmes et indépendamment des tendances dont ils sont les signes. Laborieux et fécond, M. Rod a déjà beaucoup écrit. Il est très jeune. Sa pensée va chaque jour en s’enrichissant. À mesure qu’il acquiert plus d’idées nouvelles, il prend d’autre part une conscience plus nette de son originalité propre. Son talent, qui