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qui ne leur coûtent presque rien. J’ai lu que nulle part le développement des brigades n’était aussi remarquable qu’à San Francisco, que quatre cents garçons étaient allés sans surveillance former un camp d’été à 128 milles de là, sur la plage de Pacific Grove. Ceux-ci étaient arrivés au degré de Christian manliness, de virilité chrétienne, qui leur est proposé comme objectif et qui implique avant tout le respect de soi-même ; ils étaient reconnus capables de se diriger tout seuls. L’autorité paternelle d’un bon officier peut beaucoup pour atteindre ce but, mais on compte aussi sur l’influence des femmes.

C’est un plaisir pour toute jeune Américaine active et déterminée de contribuer à la formation de cette armée du devoir. Je me rappelle mon étonnement la première fois qu’une mère de famille me dit de la façon la plus naturelle : — Une de mes filles a la vocation du kindergarten ; elle donne aux petits enfans toutes ses matinées ; l’autre dirige une brigade de garçons. — J’eus d’ailleurs l’occasion de voir ensuite combien était fréquent ce genre de charité. L’aimable fille d’un riche éditeur me fit visiter le club où les enrôlés sous ses ordres trouvent des livres, des jeux, une gymnastique, un petit théâtre. M’accompagnant ensuite à travers l’une des plus belles imprimeries qui soient au monde — la Riverside press de Cambridge — elle appelait pour me le présenter avec orgueil un de ses boys qu’elle avait placé chez son père, collaborateur empressé de la bonne œuvre qui l’absorbe tout entière. C’est peut-être aux femmes en effet qu’il appartient de former des hommes ; l’instinct de la maternité qu’elles ont presque en naissant les prépare à cette tâche.

J’admire de plus en plus l’esprit public montré en toute circonstance par les dames de Boston ; aucune des affaires de la ville ni de l’État ne leur est étrangère, elles poussent incessamment à la roue du progrès ; l’une d’elles, en m’expliquant combien peu elle souhaitait pour sa part que le sexe dont elle fait partie fût admis à voter, me donnait cette raison : « Je ne serais plus libre de m’adresser à tous nos hommes politiques pour obtenir ce que je veux. » Et ce qu’elle veut, ce qu’elles veulent toutes, c’est le bien général, s’interdisent, même en matière de charité, l’élan aveugle d’un bon cœur, ayant sans cesse présens à l’esprit les grands problèmes sociaux, spécialement deux périls qu’en tous pays il y a lieu de combattre : l’agglomération des incapables dans les grandes villes et la confusion trop souvent faite entre les malheureux qu’il s’agit d’aider et les misérables par leur faute qu’il s’agit de réformer. On serait fort étonné dans les vieux pays de voir avec quelle facilité cette réforme