commerciales ne disposaient que de la mesure de forces nécessaire pour assurer leur existence au milieu des populations indigènes qui les entouraient. N’ayant en principe point de conquêtes à faire, elles n’auraient pas dû avoir, non plus, de motif naturel d’entrer en lutte. Leur rivalité n’en était pas moins devenue très ardente, et donnant lieu à des conflits armés. Elles avaient soin seulement de ne pas guerroyer en leur propre nom, et de n’intervenir que comme auxiliaires de petits souverains locaux dont elles se disputaient le patronage, et auxquels elles prêtaient appui dans leurs luttes intestines : concours qui était rarement gratuit et que les protégés payaient à leurs protecteurs par des cessions de territoires ou de souveraineté. C’était un mode de conquête déguisé qui ne trompait personne. Deux hommes du plus haut mérite, La Bourdonnais et Dupleix, qui n’eurent qu’un tort, celui de ne pouvoir s’entendre, avaient pratiqué ce procédé d’annexion prétendue volontaire, avec assez d’habileté et d’audace pour acquérir à leurs compagnies et, par là même, à l’influence française, une autorité prépondérante que leurs émules britanniques ne pouvaient supporter qu’en frémissant.
Tout autre était l’état des choses, au-delà de l’Atlantique, sur ce continent américain qui ouvrait depuis deux siècles un si vaste champ à l’ambition de tous les coureurs d’aventure. Là, il ne s’agissait plus seulement de protéger et de développer les opérations de quelques centres commerciaux ; c’étaient des communautés d’émigrans qui étaient venues s’asseoir sur le sol du Nouveau-Monde, pour en prendre possession, y vivre, s’y propager, y fonder des cités à l’image et en souvenir de celles qu’elles avaient laissées sur la terre natale. Régies, organisées, tenues en tutelle par la métropole, ces filles dociles avaient droit de compter sur l’appui de leur mère. C’était, en réalité, pour chacun des États dont elles émanaient, comme une portion du territoire national transportée au-delà de l’Océan. Rien donc n’eût été plus important que de fixer, par un règlement adopté d’un commun accord, les limites des stations occupées par les deux nations, surtout lorsque (comme c’était le cas le plus fréquent) elles étaient contiguës, et de déterminer en même temps d’avance, dans les espaces encore inhabités, le champ auquel chacune d’elles pourrait prétendre pour de futurs développemens. Il se trouvait, au contraire, que dans les traités qui, depuis le commencement du siècle, étaient intervenus entre la France et l’Angleterre, la ligne de démarcation des frontières qui devaient borner leurs possessions américaines était restée sur plus d’un point indécise, absolument comme si on avait voulu, d’avance, se réserver des cas de guerre pour l’avenir.