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mon séjour et, si je n’en ai pas relevé davantage, c’est probablement faute d’attention. Le plus curieux m’a paru être celui dont Mozoomdar, le réformateur hindou, était l’objet. Certes le Congrès des religions à Chicago fut une grande chose ; il y eut dans cette rencontre volontaire des ministres de tous les cultes existans et dans rechange amical d’idées qui se produisit entre eux un témoignage superbe de la tolérance des temps et de l’esprit de sincérité qui prévaut de plus en plus ; peut-être marquera-t-il l’ère d’une sorte d’unité spirituelle ; mais que cette unité de si fraîche date autorise des sermons bouddhistes prononcés dans une chaire chrétienne, voilà qui semble plus difficile à admettre. Cependant, je suis moins choquée des rapprochemens faits à Unity Church, (Chicago), par Dharmupala, de Ceylan, entre le Christ et le Bouddha, j’en suis moins choquée, dis-je, que de la pieuse attention accordée par les dames de Boston à la révélation d’un nouveau christianisme, christianisme oriental opposant sa gloire ensoleillée aux formes vieillies du nôtre.

L’engouement pour Mozoomdar est un exemple de fad pour les personnes ; l’engouement pour l’Intruse et les Aveugles, un exemple de fad pour les livres. L’abus des clubs aussi est un fad à Boston. J’ai montré, je crois, leurs bons côtés ; mais, en se multipliant, ils multiplient aussi les coteries. N’y a-t-il pas, d’après les statistiques, deux clubs de femmes légistes : le Portia et le Pentagon ? C’est assurément sans proportion avec le très petit nombre d’avocates ou d’étudiantes en droit. Les personnes d’une même profession risquent, en formant ainsi à l’écart une catégorie spéciale, de tomber dans la pose. Il est bon d’oublier quelquefois ce qu’on sait et ce qu’on est. La spontanéité, le parfait naturel sont des dons trop précieux pour qu’une femme risque de les perdre par excès de méthode et d’exclusivisme. Quand nous voulons goûter un livre, nous autres Françaises, nous le lisons au coin du feu, sans autre but que notre propre plaisir, sans éprouver le besoin de répéter à tout venant le fameux : « Avez-vous lu Baruch ? » en manière de propagande. À Boston les lectrices s’associeront pour commenter et discuter ce livre : voilà un nouveau club formé au nom de tel ou tel auteur. Il s’ensuit que, malgré tout le bien que j’ai dit de la conversation, celle-ci emprunte à l’habitude des clubs presque autant de défauts que de qualités ; le laisser aller, la légèreté lui manquent un peu ; on évite plutôt qu’on ne provoque ce passage rapide d’un sujet à un autre d’où jaillit le trait imprévu. La parole est un art porté très haut par quelques-uns, hommes et femmes, mais plutôt sous forme de monologue. D’ailleurs l’extrême politesse qui a cours défend