parfois être abandonnées en plein champ, ensevelies sous la neige… Celui qui veut se mortifier n’a qu’à venir ici ; il trouvera l’occasion de le faire bien mieux qu’en entrant dans l’ordre de Saint-François[1]. »
Mais les plus grosses difficultés provenaient de la pénurie du trésor. Rien qu’en Castille, dans un espace de deux ans, de 1654 à 1656, les dépenses des voyages de la cour s’élevaient à plus de 400 000 pesetas, et par momens il n’y avait pas un maravedi en caisse. Les ouvriers ne voulaient plus travailler, ni les marchands livrer leurs fournitures, et, pour ne pas jeûner, les dames de la cour se faisaient apporter leur nourriture du dehors. Elles reprisaient et rapiéçaient elles-mêmes leurs vêtemens. Tout le monde d’ailleurs était endetté. En 1653, Velazquez était à découvert de 30 000 réaux, et une autre année on ne lui avait pas remboursé 60 000 réaux qu’il avait avancés. A sa mort, malgré sa probité et sa vigilance, il avait dépassé de 3264 ducats le budget qui lui était alloué, et son bien fut alors mis sous séquestre. Si, au prix où on l’estimait alors, l’honneur de la charge était grand, le profit, on le voit, était mince, et dans cette vie consumée par de misérables soucis, au milieu de ce mélange de luxe et de saleté, d’ostentation et de misère, il devait être dur pour un homme de sa valeur de ne trouver ni à exercer librement son art, ni à procurer aux siens quelque aisance.
En dépit des embarras financiers, le train des dépenses continuait de plus belle. On l’avait bien vu au moment du mariage du roi avec sa nièce Marianne d’Autriche. Sans parler des parures de diamans et des cadeaux de toute sorte offerts à la princesse, partout sur son passage ce n’avaient été que fêtes et illuminations. A Madrid, architectes, sculpteurs et peintres avaient à l’envi travaillé à la décoration des cinq arcs de triomphe élevés en son honneur et dont chacun ne coûtait pas moins de 2500 écus. Le cortège, très nombreux, magnifiquement vêtu, s’était déployé à travers les rues de la ville, tendues de tapisseries et jonchées de fleurs. Çà et là le vin jaillissait des fontaines, et sur vingt théâtres dressés pour la circonstance on jouait des pièces allégoriques composées par les écrivains les plus renommés. La petite reine, objet de toutes ces réjouissances, n’était encore qu’une enfant, sans grande beauté ni distinction, et, si l’on en juge par les amusemens auxquels elle se prêtait, ses goûts semblaient assez vulgaires. M. Justi raconte, en effet, que, pendant le carnaval de 1651, une personne de la cour ayant trouvé plaisant de lâcher sous les jupes
- ↑ Justi, II, p. 222.