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lieux mêmes les limites » d’un État-tampon ? Si on se reporte aux documens signés à Paris, le 25 novembre dernier, l’un par les commissaires anglais et français, l’autre par lord Dufferin et M. Develle, on voit qu’il ne s’est agi, pour le Haut-Mékong, que « de faire procéder à une enquête sur place par les agens techniques des deux pays ». Ces agens techniques, dit la seconde pièce, « devront noter soigneusement quelles limites géographiques et politiques atteindraient le mieux » le but qu’on se propose. Il ne s’agit là que d’une enquête qui ne peut aboutir qu’à prendre des notes pour éclairer les deux gouvernemens, mais pas du tout de « fixer sur les lieux mêmes les limites » d’une zone neutre. A côté du texte, nous avons d’ailleurs le commentaire rédigé, le 4 décembre, par M. Casimir-Perier, qui venait de remplacer M. Develle au quai d’Orsay, et qui, dans une lettre explicative adressée au sous-secrétariat d’État des colonies, s’exprimait comme il suit : « La mission de ces délégués (envoyés sur les lieux) devra être une simple mission d’enquête : ils sont chargés uniquement de recueillir des renseignemens et non pas de trancher des difficultés. S’il s’élève des divergences de vues entre eux, ils en noteront les motifs. La décision définitive sera réservée aux gouvernemens eux-mêmes. » On ne saurait être plus explicite.

Si nous relevons ces divergences, c’est qu’il importe, au début des négociations amicales que le gouvernement anglais engage avec nous, qu’aucun malentendu ne vienne compliquer une situation qui sera toujours assez délicate. Le langage qu’on a fait tenir à la Reine n’a peut-être pas sur tous les points une précision absolue ; mais assurément cela n’a pas grande importance. Ce qui en a beaucoup, au contraire, c’est la hâte d’en finir, l’empressement à terminer, le désir d’une solution prompte, sentimens qui ne sauraient aller sans une bonne volonté corrélative et un véritable esprit de conciliation. Nous trouverons sans aucun doute ces dispositions chez le gouvernement anglais, et il les trouvera non moins sûrement chez nous. L’accord se réalisera, puisqu’on le veut également de part et d’autre, et rien ne serait même plus facile si le maintien de plus en plus injustifié de l’occupation de l’Egypte par l’Angleterre ne pesait pas sur sa politique comme sur la nôtre. Les questions du Haut-Nil seraient réglées en une heure, si celles du Bas-Nil étaient résolues comme elles devraient l’être depuis longtemps. Qui ne voit qu’il y a, bon gré mal gré, entre celles-ci et celles-là une inévitable connexité ?


Francis Charmes.
Le Directeur-gérant,
F. Brunetière.