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II

Après avoir été l’ami de Mirabeau, il était devenu celui du général Bonaparte. L’amitié de Mirabeau lui acquit de la renommée, celle de Bonaparte le pouvoir et l’argent. Avec Mirabeau, il avait travaillé à renverser l’ancien régime, avec Bonaparte à constituer le nouveau.

Aucun révolutionnaire n’avait plus rudement assailli la vieille société. C’est sur sa proposition que la Constituante adopta le décret déliant les députés des obligations de leurs cahiers (7 juillet 1789), ce qui créa l’état de révolte. Plus qu’aucun autre, il contribua à détruire, par la constitution civile du clergé, la hiérarchie de l’Église et à la dépouiller de ses biens ; il sacre les deux premiers évêques constitutionnels et accepte le 10 août[1]. Ministre du Directoire, il glorifia Fructidor dans une circulaire, justifia dans un discours la commémoration du 21 janvier « comme nécessaire, juste et politique », et, en 1798, essaya de vaincre la répugnance de Bonaparte à y assister[2].

Dans son office spécial il avait signé des dépêches écrites dans ses bureaux, élégantes mais vagues, et « n’allant jamais au fait », comme le lui reprochait justement Rewbell, homme de caractère et de talent. Pour se consoler de suivre une politique contraire à ses idées, il dénigrait le Directoire auprès du ministre prussien Sandoz-Rollin. « Concevez-vous, lui disait-il, que la République française n’ait que des fous pour agens, pour ministres, pour ambassadeurs ? » Il avait surtout pratiqué son principe « que quand on ne peut être bon à rien, il faut, sous peine de folie, penser à soi »[3]. Il y pensa tellement que l’opinion publique irritée de ses tripotages financiers l’obligea à donner sa démission (2 thermidor an VII). Avant de se retirer, il avait expédié au général Bonaparte l’ordre officiel de revenir d’Egypte et corroboré cet ordre par une lettre privée à l’amiral Bruix. « Ramenez-le ! » lui enjoignait-il. Il a néanmoins écrit dans ses Mémoires « que le général s’était dérobé à son armée. »

Le 18 brumaire obtint son concours. Après le succès, il se montra plus empressé qu’aucun des royalistes remis en place à restaurer les mœurs et les institutions monarchiques à l’abolition desquelles il s’était employé. Il ne déploya pas moins de zèle à

  1. Pallain, Le ministère de Talleyrand sous le Directoire, Introduction, page V.
  2. Mémoires, t. I, p. 124.
  3. Napoléon, Lettres du cap de Bonne-Espérance. Didot. Bibliographie universelle. V. Talleyrand.